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Un sol perforé

Critique du documentaire Demon Mineral (2023) de Hadley Austin présenté le mercredi 16 août 2023 dans le cadre du festival Présence Autochtone.

Par William Roy, Université Concordia

Affiche de Demon Mineral

La première image que nous offre le documentaire Demon Mineral[1] présente, en arrière-plan, les terres ancestrales navajo et, au premier plan, un arbuste dont les broussailles rappellent la forme du champignon atomique. L’image se veut une métaphore de ce premier documentaire réalisé par le duo FORMIDABLE ENTITIES formé de la réalisatrice Hadley Austin et du directeur photo Yoni Goldstein. Le documentaire a reçu deux nominations au Festival international du film documentaire de Munich (DOK.fest München). À cette première image en noir et blanc se mêle la douce mélodie du désert : c’est le bruit du vent qu’on entend, quand ce ne sont pas les « clics » du compteur Geiger. Une immersion complète en terres navajos (diné) dont le peuple subit encore aujourd’hui les conséquences graves de la « ruée vers l’uranium ». J’ai eu le plaisir d’assister à la première présentation de ce film à Montréal le 16 août dernier lors de la 33e édition du festival international Présence autochtone. Demon Mineral est d’abord et avant tout un collage de paroles de scientifiques, d’artistes, d’activistes et d’aînés dénonçant le manque d’action du gouvernement américain à assainir convenablement les mines désaffectées qui abondent sur les terres sacrées du peuple diné[2]. Dû à cette négligence, le sol du territoire est encore aujourd’hui lourdement contaminé par les déchets radioactifs. L’eau, la terre et l’air sont souillés, la chair des moutons est jaunie et des tumeurs se forment chez les animaux et les anciens mineurs navajos. L’indignation est palpable dans la voix de la narratrice diné Emma Robbins qui conduit poétiquement la trame non linéaire de Demon Mineral.

« Ils ne nous ont pas dit que cette roche était dangereuse. Ils nous ont dit qu’ils s’en serviraient pour en faire des armes. Des armes contre les Asiatiques, mais qui se sont retournées contre nous »[3], dit une aînée dans sa langue maternelle, le navajo. En contraste, on présente des documents d’archives glorifiant les efforts de la main-d’œuvre américaine dans la course aux armements nucléaires, la glamorization de la bombe et des scènes des westerns américains avec John Wayne. Cette opposition devient particulièrement évidente lors d’une séquence à la Koyaanisqatsi qui marque la fin de l’introduction du film. Dans cette séquence, toute la haine viscérale est relâchée grâce à la performance musicale du groupe rez metal[4] Testify qui accompagne un déferlement d’images dépeignant les impacts de l’exploitation de l’uranium sur l’environnement.

Terry Keyanna

Une femme navajo pointe un trou au sol, puis y lance un caillou. Enfant, dit-elle, ce même trou s’était formé juste sous ses pieds, engloutissant du même coup un de ses jouets. S’il existait un enfer sous terre, ce trou devait certainement y conduire. Une autre pierre y est lancée, se heurtant aux parois de ce gouffre, produisant un bruit des plus étranges, presque surnaturel. La réalisatrice Hadley Austin dit avoir éprouvé une inquiétude profonde à l’égard de son exposition aux radiations au moment précis où elle tendait le microphone pour capter les sons de gouffre infernal. Elle ne peut s’imaginer ce que ressentent quotidiennement les gens qui y vivent. De son côté, Clayson Benally du duo Sihasin raconte une légende qui lui a été transmise par son grand-père Jones et les autres aînés de sa communauté : la divinité qui a donné aux humains le pollen de maïs (Tádídíín), leur a aussi donné Łeetso, une masse jaunâtre située sous terre qu’il ne faut surtout pas toucher. Benally ajoute qu’il ne s’agit pas d’une coïncidence si les veines d’uranium ont une forme analogue au serpent.

Dr Tommy Rock au House Committee on Natural Resources

Le co-scénariste navajo Tommy Rock joue un rôle prépondérant dans ce documentaire pour la vulgarisation de ses recherches sur les multiples types d’expositions aux radiations dans la communauté[5]. Le film suit son périple à Washington où il ira exposer le fruit de ses recherches et témoigner devant le House Committee on Natural Resources des États-Unis. Lors de la présentation au Cinéma du Musée, nous avons eu la chance de le rencontrer aux côtés d’Hadley Austin, de Yoni Goldstein et de Julian Flavin qui ont parlé de leur travail sur le film. Lors de la période de questions, on a demandé combien de ces mines désaffectées se trouvaient encore sur le territoire aujourd’hui. Dr Rock estime qu’il doit y en avoir plusieurs centaines sur les terres navajos et des milliers dans le reste des États-Unis.

Demon Mineral présente de manière percutante les conséquences sanitaires et économiques d’une négligence écologique grave. Le film est mémorable tant par ses images saisissantes que par son style cinématographique et son utilisation particulière de documents d’archives.


Notes

[1] La bande-annonce est disponible sur le site de Présence autochtone : https://presenceautochtone.ca/programmation/demon-mineral/.

[2] Ce n’est qu’en 2005 que les représentants de la Nation navajo interdiront toute exploitation d’uranium sur leur territoire. La loi intitulée Diné Natural Resources Protection Act of 2005 est disponible sur le site United States Nuclear Regulatory Commission : https://www.nrc.gov/docs/ML0723/ML072340482.pdf

[3] Ma traduction, depuis les sous-titres anglais.

[4] Pour en savoir plus sur ce genre musical particulier, voir le documentaire Rez Metal (2021) réalisé par Ashkan Soltani Stone disponible sur YouTube : https://youtu.be/RrfLrUCrI7k

[5] On peut retrouver ses dernières publications sur le site ResearchGate : https://www.researchgate.net/scientific-contributions/Tommy-Rock-39109278. Aussi, on peut trouver une courte autobiographie sur le site Outrider : https://outrider.org/nuclear-weapons/articles/uranium-mining-and-my-familys-story.

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