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Cachez cette science que je ne saurais voir

Critique du livre Panique à l’université : rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires de Francis Dupuis-Déri, Montréal, Lux éditeur, 2022.

Par Dalie Giroux, Université d’Ottawa

Ce texte a été lu à l’occasion du lancement de l’ouvrage à l’université d’Ottawa le 22 septembre 2022.

Il faut d’emblée remercier l’auteur d’avoir pris la peine de réaliser cette enquête. Il s’agit d’une contribution très importante au débat public. Il faut également signaler qu’il s’agit d’un ouvrage fastidieux et méticuleux, l’auteur prenant le temps de démonter un à un une série d’énoncés qui circulent actuellement dans l’espace public au Québec et en France à propos d’une supposée crise des universités[1].

La thèse que Francis Dupuis-Déri (FDD) défend dans cet opus apparait très solide, et, cela est très important et doit être entendu, quiconque se prononce de manière rigoureuse sur ces questions devra désormais tenir compte des faits établis dans cet ouvrage.

La thèse de l’auteur se décline en quatre volets, que je reprendrai ici un à un, en formulant au passage quelques commentaires qui pourront susciter une discussion.

1. Il n’y a pas de réalité empirique significative derrière cette prétendue crise de l’université, et certainement pas dans les dimensions, l’imminence, la prévalence et la dangerosité qu’on lui prête.

Au terme d’une enquête portant sur plusieurs indicateurs, l’auteur conclut en effet que « le problème présenté comme un phénomène culturel généralisé est donc en réalité microscopique » (169). Il y a un écart entre l’interprétation de la réalité et cette réalité elle-même, un écart qu’une mesure empirique permet de constater.

Il y a des incidents isolés, certes, on les connait, et ils méritent certainement que l’on s’y attarde pour les comprendre et les analyser, mais il n’y a pas de « crise », il n’y a pas « d’hégémonie », il n’y a pas non plus de « dictature » – pour reprendre des termes souvent utilisés par les tenants de la thèse de la crise.

Comment dès lors expliquer l’écart entre l’interprétation des incidents et les incidents eux-mêmes? Question typique de la recherche en sciences sociales, à laquelle tente de répondre Panique à l’université.

2. Pour l’auteur, c’est l’hypothèse qu’il met au travail dans cet ouvrage, cette prétendue crise de l’université serait (non pas exclusivement, mais) principalement le fait d’une stratégie discursive. Stratégie discursive plus ou moins cohérente, plus ou moins organisée – mais facilement repérable, et qui a des précédents historiques connus, notamment dans ce qu’on a appelé les culture wars aux États-Unis.

Cette stratégie discursive (essentiellement médiatique) ne repose pas sur un travail rigoureux d’enquête : elle se définit par la répétition, le martelage, les effets de toge, l’exagération, l’hyperbole, la caricature, l’enflure verbale, la diabolisation, l’instrumentalisation et la dissimulation de certains faits – autant d’indicateurs qui permettent d’observer scientifiquement un phénomène discursif de ce type, tant dans son fonctionnement que dans ses effets.

On peut penser à l’usage devenu commun du terme « totalitaire » pour qualifier cette prétendue crise, usage que FDD analyse dans son ouvrage, ou encore aux comparaisons extrêmement problématiques avec l’époque de l’Inquisition ou avec ce qu’on a appelé la Terreur dans la foulée de la Révolution française. Si ce n’est pas de la panique que d’employer ces termes à répétition pour qualifier une poignée d’évènements isolés même si éclatants, c’est ou bien de la mauvaise foi, ou bien, mais c’est peu probable, l’expression d’une ignorance difficilement pardonnable.

Pour donner un exemple près de nous, le collègue Robert Leroux affirmait récemment qu’il fait partie d’un département « woke », c’est-à-dire, selon ses propres termes, où on retrouve « des marxistes, des postmodernistes, des féministes », et qui affirme que « le woke », je le cite et notez l’effet de toge, « c’est la censure totale ».

Ce même collègue, dans son livre intitulé Les deux universités : postmodernisme, néoféminisme, wokisme et autres doctrines contre la science et tout juste publié aux éditions du Cerf (une maison d’édition catholique française qui a pris depuis une décennie un tournant fortement conservateur sous la direction de Jean-François Colosimo[2]), appelle « postmodernisme » le courant de pensée qui serait à l’origine de cette crise l’université, recyclant ce faisant un thème archiconnu des culture wars américaines des années 1980. Selon la définition offerte par Leroux et reprise par le collègue Joseph-Yvon Thériault à l’occasion du lancement de cet opus qui fait l’effet du jour de la marmotte tant les débats qu’il singe sont usés par plus de trois décennies de radotage, le « postmodernisme » est « une manipulation du langage qui ferait fi de la matérialité des faits, et qui derrière une supplication théorique cacherait une grande subjectivité, ou une grande supercherie »[3]. Nous ne sommes pas exactement ici devant une définition de dictionnaire…

Et d’ailleurs, si on se fie aux données factuelles telles que colligées par FDD dans Panique à l’université, cette définition du postmodernisme s’applique parfaitement au discours réactionnaire sur l’université, où on « manipule le langage », et où on « fait fi de la matérialité des faits ». FDD souligne le même paradoxe – à savoir de faire soi-même ce que l’on reproche à l’autre – à propos de l’ouvrage récent de Rachad Antonius et Normand Baillargeon sur la même question[4].

3. Cette stratégie discursive dont le moteur est la peur (il s’agit d’un danger multiforme et imminent devant lequel il faudrait prendre des mesures vigoureuses et immédiate pour s’en protéger), s’inscrit, comme le rappelle FDD, dans un contexte social et politique spécifique.

FDD écrit, suite à l’analyse d’un moment des culture wars américaines dans les années 1980, qu’une « mise en scène partielle et partiale est assez typique des discours réactionnaires au sujet de l’Université : on présente une action étudiante étonnante et radicale qu’on cherche à discréditer, mais on n’explique ni le contexte ni les rapports de force dans lesquels elle s’inscrit » (94). Quel est donc ce contexte, pour ce qui est des débats actuels?

Chacun pourra dire qu’il s’agit du contexte large des revendications liées au mouvement Black Lives Matter, au mouvement de dénonciation #Metoo, mais aussi de différentes revendications sociales et politiques liées aux identités de genre, à la décolonisation, au droit des migrants et, pour le dire rapidement, au pluralisme dans les sociétés occidentales. Rappelons, pour évoquer les événements récents qui ont secoué l’université d’Ottawa, que la dite affaire Lieutenant-Duval est contemporaine de Joyce Echaquan, Mamadi Camara, la découverte des sépultures anonymes des pensionnats autochtones, les incidents récents de profilage racial sur le campus de l’université d’Ottawa, la sous-représentation chronique des personnes noires et autochtones parmi les membres du professorat des universités canadiennes, les attentats islamophobes au Québec et en Ontario, la surreprésentation des personnes autochtones dans les prisons canadiennes, la mise en lumière des féminicides au Québec, etc., etc. – c’est le contexte dans lequel il faut inscrire les incidents que l’on connait et qui ont été montés en épingle et traités comme des aberrations.

FDD démontre bien que les dénonciations de la prétendue dérive des universités tendent à nier les éléments de contexte qui obligent à complexifier l’interprétation que l’on fait de celle-ci – c’est-à-dire que les rapports de pouvoir existants, qui sont problématisés par les luttes sociales et politiques, sont complaisamment gommés pour mieux discréditer la remise en question de ces rapports de pouvoir, et pour réduire cette remise en question à des expressions apparemment extrêmes ou hystériques de politisation d’enjeux qui devraient, selon cette doxa intéressée, rester à l’abri d’une telle politisation.

FDD démontre également que l’histoire des mouvements politiques étudiants est longue et que les récents événements politiques sur les campus n’ont rien de nouveau ou de particulièrement radical ou extrême.

J’aouterai à cela qu’il y a toujours eu une articulation variable, relative, négociée entre d’une part les luttes sociales largement définies, qui marquent un certain « progrès » dans les démocraties occidentales aux 19e et au 20e siècle, et d’autre part le développement de la recherche en sciences sociales. Il n’y a donc rien de particulièrement choquant de voir des chercheurs arrimer leur travail à des questions sociales brûlantes, par exemple celle du racisme systémique, bien au contraire. Il ne s’agit pas d’une irruption de « l’idéologie » dans la science, telle que tentent de le faire valoir les tenants de la crise de l’université, mais plutôt d’un dialogue normal et fructueux entre l’université et la société.

Nous vivons sans doute un changement de paradigme au sens kuhnien, qui peut apparaitre brutal à ceux qui n’en sont pas les instigateurs, et il est « normal », pour reprendre un terme de Thomas Kuhn, qu’une vieille garde crie à la dérive et à la destruction de l’université, et il est « normal » que cela donne lieu à des jeux de pouvoir au sein des départements (au demeurant parfois inélégants de part et d’autre, il faut bien l’admettre). Mais rappelons que la grammaire de toute science est le progrès et non la conservation – c’est-à-dire qu’en science, s’il faut certes construire sur les acquis, il est acquis que ces acquis sont provisoires et sont appelés à être réfutés. À ce titre, pour autant que les règles de base de la pratique scientifique sont appliquées, notamment en reposant sur la « matérialité des faits », le nouveau est meilleur que l’ancien. L’université, n’en déplaise aux collègues qui croient la défendre contre une menace plébéienne, ce n’est pas la monarchie.

4. Cette stratégie discursive sert un ensemble de mouvances politiques identifiables, au nom desquelles agissent ceux que FDD, avec d’autres sociologues, appelle les « nouveaux réactionnaires », qui lancent périodiquement dans l’espace public des polémiques à propos de la liberté d’expression et, par extension, de la liberté académique.

À cet effet, quant aux éléments de contexte qui restent pour des raisons qui semblent opportunes dans l’angle mort du discours sur la prétendue crise de l’université, deux enjeux, qui sont liés, me semblent extrêmement importants. D’une part, on ne trouve pas, dans cette narration de la crise, d’analyse de la transformation majeure de l’espace public en lien avec la nouvelle économie de l’attention qu’ont mise en place les médias sociaux, transformation qui a des impacts réels et mesurables sur la nature et la forme du débat public. C’est-à-dire que les manières de débattre, d’entrer en conflit, de faire valoir ses idées, et d’organiser politiquement, elles ont changé pour tout le monde, et nous sommes ici en terrain nouveau – la prétendue mouvance woke, comme le disent les gardiens de la tradition, n’a pas le monopole, loin de là, de l’usage abusif des médias sociaux et de la polarisation extrême.

D’autre part, et en lien avec ce dernier élément, on ne trouve pas dans cette narration de la prétendue crise de l’université de prise en compte, sinon sous la modalité de la dénégation ou de la relativisation, de la montée manifeste de la droite, du nationalisme de droite, du populisme de droite, de la droite chrétienne, des discours anti-immigration, de l’homophobie et de la transphobie d’État, du mouvement pro-vie, des États qui censurent des livres portant sur l’héritage de l’esclavage ou sur le mouvement LGBTQ, et des mouvements d’extrême-droite partout en Occident.

La répétition ad nauseam de variations de ce discours selon lequel le marxisme culturel, l’antiracisme, et le féminisme forment l’idéologie dominante dans l’université et éventuellement dans l’ensemble de la société, et que nos institutions, voire notre civilisation sont en conséquence en danger, cache mal le fait que les forces qui détiennent le pouvoir ou montent en puissance actuellement, ce sont des forces conservatrice et/ou réactionnaires. Et les agitateurs réactionnaires qui instrumentalisent la question de la liberté académique, avec la connivence de professeurs d’université extrêmement complaisants, sont au service de ces forces conservatrices et/ou réactionnaires.

Pour mémoire, je rappelle que le gouvernement conservateur de Doug Ford a forcé les universités ontariennes en 2018 à adopter des politiques de protection de la liberté d’expression dans les campus, et c’est pour se conformer à cette exigence que l’université d’Ottawa a adopté le règlement 121[5].

Je rappelle également que c’est dans les semaines qui ont suivi l’affaire Lieutenant-Duval à l’université d’Ottawa, après un battage médiatique sans précédent, que le gouvernement caquiste de François Legault a annoncé la mise sur pied de la commission scientifique et technique sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire qui devait déboucher en 2022 sur l’adoption de la Loi sur la liberté académique dans le milieu universitaire – laquelle accorde à la ministre le pouvoir d’intervenir sur les politiques internes des universités relatives à la liberté académique si celles-ci ne sont pas jugées conformes à la loi[6].

Je rappelle que le chef élu du parti conservateur du Canada, une des principales forces politiques au pays, chef qui a appuyé le Convoi des camionneurs, a appelé les Canadiens à prendre exemple sur le Québec et à se constituer en force « anti-woke » – une marotte qu’il partage avec Vladimir Poutine et Donald Trump.

Je vous rappelle enfin que la Cour suprême des États-Unis vient de révoquer la constitutionalité de l’arrêt Roe v. Wade.

Dès lors : cette guerre contre la prétendue hégémonie antiraciste, ou féministe, ou marxiste-culturelle, ou woke, ou postmoderne, elle est tributaire, sous sa forme actuelle de la « panique morale », d’un contexte politique dans lequel des mouvements conservateurs et réactionnaires sont au pouvoir en occident.

À ce titre, et suite à la lecture de cet ouvrage, on peut dire que ceux qui posent, dans l’université et hors les murs, en défenseurs de la rationalité et de la science contre une prétendue dérive idéologique des sciences sociales, se font consciemment ou non les alliés objectifs de ces mouvements. Ce qu’ils défendent, ce n’est pas la science : les travaux qui se penchent sur les inégalités sociales, sur les minorités ou sur les luttes actuelles ne sont pas plus ou moins scientifiques en fonction de leurs objets d’études, de leurs cadres théoriques et de leurs engagements, et l’évaluation de la scientificité de ces travaux doit se jouer, de toutes façons, dans l’arène scientifique selon les codes scientifiques et non dans l’espace public selon les codes médiatiques.

Ce que l’on peut dire, suite à la lecture de cet ouvrage de FDD, c’est que ceux et celles qui posent, dans l’université et hors les murs, en défenseurs de la rationalité et de la science contre une prétendue dérive idéologique des sciences sociales, défendent consciemment ou non, un état de la société qui leur convient, dans lequel ils détiennent l’autorité, dans lequel ils exercent le pouvoir. La pratique de la science n’a rien à voir là-dedans.


Notes

[1] Ajoutons que l’auteur démontre par la bande qu’il y a une écologie discursive commune à ces deux entités – ce qui n’est pas sans intérêt pour réfléchir au contexte plus large dans lequel s’inscrit ce phénomène de « panique morale ».

[2] Voir Camille Vigogne Le Coat, « Jean-François Colosimo, éditeur des jeunes conservateurs », 8 septembre 2019, en ligne.

[3] Voir Bruno Lalonde, « Les deux universités de Robert Leroux », YouTube, 18 septembre 2022, en ligne.

[4] Identité, « race », liberté d’expression : Perspectives critiques sur certains débats qui fracturent la gauche, Québec, PUL, 2021.

[5] Voir Université d’Ottawa, « Règlement 121 », en ligne.  

[6] Voir Assemblée nationale, Projet de loi no 32, Loi sur la liberté académique dans le milieu universitaire, 2022, en ligne.

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Accueillir (ce) qui dérange: l’Art saisi par le Droit, dans et autour de l’Université

Par Simon Labrecque

ICI-UQAM - L'art de s'exposerCe texte a été présenté dans le cadre de la table ronde ICI-UQAM « L’art de s’exposer. Contenus illicites – Projets controversés » le mercredi 26 novembre 2014. L’auteur tient à remercier Stéphane Gilot et Christine Major de l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM pour leur invitation à participer à l’événement. L’auteur remercie également Julie Lavigne, Isabelle Hayeur, David Thomas et les autres intervenant·e s qui ont participé à cette réflexion collective.

Avec René Lemieux, collaborateur à la revue en ligne Trahir, nous avons récemment couvert et analysé les procès de deux jeunes artistes accusés d’infractions criminelles : le procès de Rémy Couture, maquilleur en effets spéciaux d’horreur pour le cinéma et la photographie gore, à Montréal, puis le procès et les requêtes en appel de David Dulac, ancien étudiant au baccalauréat à l’École des arts visuels de l’Université Laval, à Québec. Dans un premier temps, je vais rappeler les faits dans chacun des cas pour identifier où et comment se jouent les relations entre l’art et le droit. Dans un deuxième temps, j’énoncerai quelques conclusions ou leçons qui émergent de ces cas, dans la perspective d’une analyse institutionnelle soucieuse de comprendre leurs conditions de possibilité. Dans un troisième et dernier temps, je formulerai une proposition controversée à l’intention de ceux et celles qui, comme moi, jugent que ces procès n’auraient jamais dû avoir lieu et qui cherchent à éviter que d’autres surviennent : surtout, n’appelez pas la police! Le corollaire de cette proposition est l’impératif d’accueillir qui et ce qui dérange.

 

Les faits

Rémy Couture a été arrêté par des agents du Service de police de la Ville de Montréal le 29 octobre 2009. Il a été relâché le même jour sur promesse de comparaitre. Il a été accusé de production, de possession et de mise en circulation de matériel obscène, en vertu de l’article 163 du Code criminel sur la « corruption des mœurs ». L’article dit :

(1) Commet une infraction quiconque, selon le cas : (a) produit, imprime, publie, distribue, met en circulation, ou a en sa possession aux fins de publier, distribuer ou mettre en circulation, quelque écrit, image, modèle, disque de phonographe ou autre chose obscène. […] (8) Pour l’application de la présente loi, est réputée obscène toute publication dont une caractéristique dominante est l’exploitation indue des choses sexuelles, ou de choses sexuelles et de l’un ou plusieurs des sujets suivants, savoir : le crime, l’horreur, la cruauté et la violence.

Couture a plaidé non coupable et son procès a eu lieu devant jury en décembre 2012.

Le matériel en cause se trouvait principalement et sur le site innerdepravity.com, qui était présenté comme le « journal visuel fictif d’un tueur en série ». Le site contenait deux vidéos d’une quinzaine de minutes et près de 1000 images présentant surtout des scènes de torture et de meurtre de femmes par un homme masqué. L’artiste a toujours maintenu que ce site était son portfolio, qu’il servait à démontrer ses compétences pour la création d’effets spéciaux d’horreur. Le jury a accepté cette théorie – ou du moins, il a refusé la théorie du ministère public selon laquelle les images étaient obscènes, et qu’à ce titre, elles représentaient un risque pour la société canadienne, en particulier pour des hommes prédisposés à les trouver excitantes et à commettre des actes de violence suite à leur visionnement (théorie soutenue par deux psychiatres que la poursuite a fait témoigner à titre d’experts). Couture a été déclaré non coupable. Si le jury a trouvé ses images obscènes (ce dont on ne peut être certain), il leur a alors reconnu une valeur artistique qui, après l’arrêt Butler de la Cour suprême (1992), les protège de la censure.

Le site de Couture a été mis en ligne en 2006. Il a intéressé le système de justice quand une plainte a été déposée en Autriche la même année par un citoyen doutant du caractère « réel » ou « fictif » des gestes imagés. La plainte a été transmise par Interpol à la Sûreté du Québec, qui l’a transmise à la police de Laval, où Couture était présumé résider. Il semble que la police de Laval a rapidement mis fin à son enquête (sans qu’on puisse connaître ses raisons). La plainte est « restée » à Laval jusqu’en janvier 2009. La SQ l’a alors transférée au SPVM, Couture résidant maintenant à Montréal. Le SPVM a enquêté puis l’a arrêté. Durant les trois années entre l’accusation et le procès, Couture et ses supporters ont organisé une campagne de financement et de soutien assez visible, sous le signe de la défense de la liberté d’expression. Ils ont vendu des vêtements avec le slogan « Art is not Crime », ont produit un court documentaire sur l’affaire, et Couture est même apparu en une du Voir et à l’émission Tout le monde en parle, en mai 2012.

Dans le cas de David Dulac, les faits sont très différents. Dulac a reçu très peu d’appui en dehors du petit milieu de l’art action dans la ville de Québec. Aucun article n’a été publié sur son cas dans Le Devoir, par exemple, et aucune campagne de financement visible n’a été organisée. Les procédures ont été beaucoup plus rapides que dans le cas de Couture et les accusations n’étaient pas les mêmes.

Le 25 mars 2013, Dulac remet ce court texte à l’étudiante au baccalauréat en arts visuels à l’Université Laval chargée d’organiser l’exposition des finissantes et finissants :

Description du projet pour l’expo des finissant de David Dulac :

Je n’ai pas d’image à fournir du projet pour le moment, je vais décrire en gros ce que je vais présenter.

Mon projet sera performatif et consistera d’abord à kidnapper le plus d’enfant possible en les attirant dans ma voiture près d’une école primaire de la région à l’aide de bonbon, de jeu vidéo ou de gadget, style iPod, et de les enfermer dans des vieilles poches de patates ou de sacs de pailles, et pendant une performance, une fois qu’ils serons tous accroché au plafond, je me banderai les yeux [et] je les frapper[ai] avec une masse de fer. Le sens de l’œuvre sera de démontrer comment les beaux et petits enfants innocents vont vieillir au travers du monde contemporain pour devenir les adultes amorphes de demain. Moi je représenterai bien sur l’humanité, ou son héritage, cela dépend du point de vue[1].

L’étudiante inquiète consulte rapidement des amies et des professeures pour savoir quoi faire du texte. Elle le transmet au directeur de l’École. Celui-ci contacte les services d’aide psychologique de l’Université, avec qui il avait déjà discuté de Dulac. Ces derniers ont alors contacté le service de sécurité, qui a appelé la police. Dulac est arrêté le 26 mars. Il est accusé par voie sommaire d’avoir proféré des menaces de mort à l’endroit d’enfants de la région de Québec. Il plaide non coupable. Il est détenu en institution psychiatrique puis en prison jusqu’à la fin de son procès devant la Cour du Québec, en juillet 2013. Il passera au total 116 jours en détention. Dulac est libéré le 19 juillet, alors qu’après une semaine de délibérations, le juge le déclare coupable et le condamne à deux ans de probation avec obligation de garder la paix et de consulter un psychiatre.

Dulac a porté cette décision en appel devant la Cour supérieure en février 2014. L’appel a été rejeté le mois suivant. En juin 2014, par l’intermédiaire de son avocate, Me Véronique Robert – qui était aussi l’avocate de Couture –, Dulac a présenté une requête pour un deuxième appel devant trois juges de la Cour d’appel, le plus haut tribunal de la province. Cette requête a été autorisée et l’appel sera entendu en 2015. L’« affaire Dulac » n’est donc pas terminée. Jusqu’à nouvel ordre, cependant, la remise de son texte est légalement qualifiée de profération intentionnelle de menaces de mort, peu importe ce qu’on peut en penser à titre d’artistes, d’universitaires ou de citoyens.

 

Quelles « leçons » tirer de ces deux cas?

Je sens que je devrais raconter chaque cas beaucoup plus en profondeur, en expliquant par exemple que Dulac avait d’abord écrit son texte pour un travail dans un cours, ou en analysant l’usage de « témoins experts » dans le procès de Couture. Pour penser les rapports entre l’art et le droit, il me semble toutefois plus important encore de prendre en compte ce sentiment lui-même, car il témoigne d’un certain fonctionnement du droit. Le sentiment de devoir en dire plus pour être fidèle aux détails qui caractérisent chaque cas singulier signale que le droit fonctionne comme un appareil de capture, comme une « machine abstraite » qui recode des gestes, des faits ou des événements singuliers dans un langage qui lui est propre, dans un « régime de phrases » par définition réducteur : l’idiome juridique, qui définit les termes dans lesquels un cas peut et doit être « traité »[2].

Quand le droit ou le système judiciaire – qu’il faut sans doute distinguer de la Justice – « est saisi » d’une affaire, il s’en saisi comme d’un problème à recoder en vue de sa solution juridique. Le droit impose alors un partage : il classe d’un côté ce qu’il faut arriver à savoir hors de tout doute raisonnable, et de l’autre, ce qui est sans importance. Dans le cas d’une menace, par exemple, il est sans importance que ceux à qui elle s’adresse en aient connaissance. Il est aussi sans importance de savoir si l’auteur de la menace prévoyait passer à l’acte. Ce qui compte est l’acte coupable (l’actus reus) d’avoir « fait craindre » et l’intention coupable (la mens rea) de « faire craindre » pour la sécurité d’un individu ou d’un groupe identifiable. C’est pourquoi il importe que la menace soit « réaliste ».

L’accusation inscrite au Code criminel et interprétée dans la jurisprudence est chaque fois la clé du recodage judiciaire. Dans le cas de l’obscénité, par exemple, le droit prévoit une défense en termes des « nécessités internes de l’œuvre ». Pour démontrer la culpabilité de Couture, le ministère public devait donc prouver à la fois que le matériel était obscène et que ce caractère n’était pas justifiable artistiquement. Pour le crime de menace, par contre, ce type de défense artistique n’est pas prévu par le droit. La prise en compte du « caractère artistique » du texte de Dulac a seulement pu servir à établir le contexte dans lequel il a été écrit et transmis. Le fait que, malgré leur malaise, l’étudiante en charge de l’exposition et le directeur de l’École des arts visuels aient tous deux témoigné pour le ministère public a permis à ce dernier de souligner que des personnes bien au fait du « contexte artistique » ont pris le texte de Dulac au sérieux, qu’elles l’ont trouvé inquiétant précisément parce qu’il n’était « pas assez » contextualisé, et ce, même si d’autres l’ont trouvé drôle ou n’y ont vu qu’une parodie un peu maladroite.

Pour comprendre comment survient une telle traduction d’un régime de phrases à un autre, par quelles médiations et par qui s’opère la capture de l’art ou des artistes par l’appareil judiciaire, il est utile de procéder à des analyses institutionnelles soucieuses du climat psycho-politique dans lequel agissent ces « systèmes nerveux » que sont l’art et le droit. Pour Couture, une telle analyse fera remarquer que les images gore inquiètent plus la police à Montréal qu’à Laval. Pour Dulac, elle mettra en lumière que le directeur témoigne avoir contacté les services d’aide psychologique car il jugeait que son autorité était attaquée par l’étudiant à qui il avait demandé, au début du mois de mars, d’éviter les projets controversés. Une telle analyse force aussi à reconnaître que les services d’aide psychologique ont contacté le service de sécurité, qui a appelé la police, sans jamais rencontrer l’étudiant. Il faudrait expliquer cette « sortie » de l’Université. Il me semble que l’appel à une autorité extérieure témoigne d’une incapacité de l’Art-dans-l’Université à assumer le fait de dire « non », de refuser un projet et d’assumer ce refus.

 

Questions de souverainetés

L’analyse institutionnelle de la judiciarisation de l’art dans les cas de Rémy Couture et de David Dulac fait voir la délégation ou la confiscation de la compétence pour juger des œuvres. Dans le cas Dulac, il y va plus particulièrement de la compétence universitaire, ou de la compétence des universitaires pour juger des œuvres – et d’abord, de s’il y a œuvre ou pas – et pour décider du sort de leur auteur. Pour éviter de telles confiscations, à l’avenir, je crois qu’il faut prendre au sérieux cette proposition : surtout, n’appelez pas la police!

Ce qui est en jeu dans le fait de demander aux forces de l’ordre de prendre en charge le destin d’une œuvre ou de son auteur universitaire est la « souveraineté » de l’Université, son autonomie comme lieu d’enseignement, de recherche et de création. L’École des arts visuels où étudiait Dulac a renoncé à – ou s’est vu dépossédée de – sa souveraineté sur le jugement des œuvres produites sous son autorité, qui est en principe établie mais qui est en pratique fragile. Cela a commencé dès que le directeur a contacté les services d’aide psychologiques, qui agissent avec d’autres « services » (dont la sécurité) comme des forces extra- ou para-académiques dans l’Université, à la frontière poreuse qui sépare et relie son « dedans » à ses multiples dehors, dont l’art et le droit. Le texte de Dulac a dérangé ce « dedans » et Dulac lui-même a été expulsé de l’Université. Mais ce qui – ou qui – dérange a aussi été perçu comme un danger et on – qui donc? – a donc appelé la police. Cet appel a mené à une détention « préventive » de 116 jours! Pour prévenir de tels excès, ou du moins pour entrevoir ce qui se joue dans ces événements et commencer à réfléchir à comment il serait possible de les infléchir, je voudrais conclure en faisant entendre ce que Jacques Derrida a écrit dans L’Université sans condition au sujet d’une « immunité académique » comme pratique de l’hospitalité :

l’idée que cet espace de type académique doit être symboliquement protégé par une sorte d’immunité absolue, comme si son dedans était inviolable, je crois (c’est bien comme une profession de foi que je vous adresse et soumets à votre jugement) que nous devons la réaffirmer, la déclarer, la professer sans cesse – même si la protection de cette immunité académique (au sens où l’on parle aussi d’une immunité biologique, diplomatique ou parlementaire) n’est jamais pure, même si elle peut toujours développer de dangereux processus d’auto-immunité, même et surtout si elle ne doit pas nous empêcher de nous adresser au dehors de l’université – sans abstention utopique. Cette liberté ou cette immunité de l’Université, et par excellence de ses Humanités, nous devons les revendiquer en nous y engageant de toutes nos forces. Non pas seulement de façon verbale et déclarative, mais dans le travail, en acte et dans ce que nous faisons arriver par des événements[3].

Le « projet performatif » de Dulac exprimait peut-être un « processus d’auto-immunité » de l’Art-dans-l’Université, mais en acte, l’Université n’a pas su l’accueillir et le protéger – ou du moins, accueillir et protéger son auteur, à titre de chercheur. Qu’a-t-elle ainsi enseigné à ses étudiants, sinon qu’ils doivent craindre à leur tour de devenir autre chose que des adultes amorphes?

[1] Facsimile dans Karine Turcot, « Avorter : l’œuvre ou le procès? », Inter, art actuel, no 118, 2014, p. 50. L’orthographe original a été préservé.

[2] Sur le concept d’« appareil de capture », voir Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux, Paris, Minuit, 1980. Sur les « régime de phrases », voir Jean-François Lyotard, Le différend, Paris, Minuit, 1983.

[3] Jacques Derrida, L’Université sans condition, Paris, Galilée, 2001, p. 45-46.

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Usage des mots-clés reliés à la grève étudiante sur Trahir: méta-analyse objectivée d’un métadiscours subjectif

Par René Lemieux | Université du Québec à Montréal

Le blog de Trahir fêtera le 1er mars son premier anniversaire. La revue, fondé en 2008 qui a commencé à publier des textes sur le Web en janvier 2010, en était à sa quatrième année de publication lorsqu’elle a décidé de se donner un blog pour faciliter les échanges avec son public. Même s’il n’avait pas été conçu pour la grève étudiante, les premiers mois de son activité ont été presque entièrement occupés à publier les textes qui porteront sur la grève.

J’ai été le responsable de la mise en ligne des textes, et c’est à ce titre que je voudrais participer au dossier « penser en grève ». Ce « titre » est celui d’une certaine subjectivité, celle qui a le rôle de catégoriser les textes à publier en leur apposant des « mots-clés » (ou tags) qui permettront à la fois un archivage efficace pour le curateur et une recherche rapide pour le lecteur. Afin de répondre à la question formulée par le dossier, à savoir qu’est-ce que c’est, penser en grève?, je tenterai d’examiner l’hypothèse suivante : les enjeux de la grève étudiante ne furent pas les mêmes au début et à la fin – ce qui relève d’une évidence –, mais plus encore, que ce que nous avons pu concevoir comme ce qu’était la « grève » est historiquement déterminé. C’est dire : 1) que le concept de ce qu’était objectivement la grève ne s’est pas formé dès le premier jour, 2) que les catégories permettant de comprendre la grève ont pris du temps à se former, et 3) que faire le bilan de la grève – ou penser en grève –, c’est d’abord revenir à la conscience qu’on en avait au moment où on la vivait.

Afin de démontrer ces trois propositions, je propose de revoir diachroniquement l’utilisation des « mots-clés » sur le blog de la revue Trahir durant la grève étudiante. Comme j’ai été le principal responsable de la mise en ligne des textes sur le blog, je sais qu’aucun travail d’uniformisation des mots-clés n’a été entrepris depuis (par manque de temps, disons…), ainsi donc, les données sont suffisamment objectives, même s’il s’agit de l’objectivation d’une subjectivité (celle, en l’occurrence, du responsable du blog, c’est-à-dire la mienne).

D’abord, quelques données statistiques sur les billets concernant la grève (la mesure de la « variable indépendante », le temps, est découpé selon les mois, chaque mois est divisé du 1er au 15, et du 16 à la fin du mois).

Graphique 1

Graphique 1

Dans le graphique ci-dessus, on constate qu’une grande partie de ces textes ont été publiés entre les mois de mars et juin 2012. Au début mai 2012, 50% des 80 textes qui seront publiés durant l’année 2012, relatifs à la grève, avait déjà été publié. À la fin juin, c’est 90% des textes qui seront publiés – je m’intéresserais donc aux 73 textes relatifs à la grève publiés entre le 1er mars et le 30 juin 2012.

Voici un deuxième graphique qui montre l’ampleur des textes sur la grève étudiante entre mars et juin :

Graphique 2

Graphique 2

On constate qu’au moins la grande majorité des textes portaient sur la grève, jusqu’à 100% au plus fort (de quoi? on le verra bientôt).

Le premier texte publié sur la « grève étudiante » (par Marie-Ève Bélanger) donne le ton à la série des mots-clés utilisés sur Trahir. Il s’agit du premier texte à utiliser « hausse des droits de scolarité » et « politique de l’université » (ce deuxième mot-clé faisait référence à une vieille thématique de Trahir qui n’a jamais vraiment abouti, mais qui était la question principielle du projet de Trahir à ses débuts, dès 2008). Des 16 textes publiés au mois de mars, plus de la moitié avait un rapport à la grève.

La deuxième moitié du mois de mars, on verra une première série de photos de manifestation (et le premier « portfolio » sur Trahir, par Mathieu Gagnon, pour la manifestation du 22 mars), et on lira le texte le plus lu sur Trahir jusqu’à ce jour, par Olivier Roy. Un troisième mot-clé « métacatégoriel » sera utilisé pendant le mois de mars, « université », tout simplement.

Dans la première moitié du mois d’avril, un nouveau mot-clé apparaît : « judiciarisation » et « endettement », et on commence à s’intéresser aux médiasà Twitter et à Richard Martineau – il est la première « personnalité » associée à la grève à être mentionnée par un mot-clé (ce n’était toutefois pas la première référence à Martineau, il avait déjà été mentionné auparavant –, aux sophismes et à la rhétorique. On y verra aussi le débat épique entre Frédéric Mercure-Jolette et Éric Martin sur la gauche, et la première pétition partagée sur Trahir. Les mots-clés « droite » et « fascisme » feront aussi leur apparition dans une lettre de Martin Parrot adressée au journal Le Soleil.

La deuxième moitié du mois d’avril voit apparaître les mots-clés « démocratie »« mobilisation internationale » (avec une série de photos de Belgique), mais aussi « violence » (qui sera de plus en plus utilisé, surtout pendant le mois de mai) et « brutalité policière » avec l’« événement » du Plan Nord. À cet égard, il est intéressant de constater la personnification et l’événementialisation accrues de la grève (qu’on peut repérer à l’usage des majuscules dans les mots-clés). Au total, huit personnalités seront mentionnées en mots-clés, en ordre d’apparition après Richard Martineau : Gabriel Nadeau-Dubois et Jean Charest (fin avril), Alain Dubuc et Maxence Valade (début mai), Anarchopanda et Éric Martin (fin mai), et Christine Saint-Pierre (début juin); et quatre événements majeurs : le Plan Nord en avril, Victoriaville et la Loi spéciale 78 en mai, et finalement le Grand Prix en juin. Voici un graphique récapitulatif de cette tendance, en comparant les textes portant sur la grève comportant dans ses mots-clés une personnalité et/ou un événement et ceux qui n’en avaient pas :

Graphique 3

Graphique 3

Ce graphique montre qu’à partir de mai 2012, les textes s’intéresseront majoritairement à des personnes, mais surtout à des événements marquant. « Victoriaville » est à cet égard un moment charnière de la grève étudiante.

Le début du mois de mai sera de loin le plus occupé, notamment avec les textes sur la manifestation à Victoriaville. C’est aussi la première fois qu’on voit un genre nouveau de textes, les témoignages et les récits (alors qu’auparavant, il s’agissait majoritairement de lettres d’opinion et de lettres ouvertes). On voit aussi apparaître les mots-clés « infantilisation », « désobéissance civile », mais surtout ce « méta »-mot-clé : « grève étudiante ». Durant les mois de mars et d’avril, on parlait encore de « hausse des droits de scolarité » ou même d’« université », à partir de mai, on parlera métadiscurssivement de « grève étudiante » :

Graphique 4

Graphique 4

Qu’est-ce que ça veut dire? Eh bien, que le syntagme « grève étudiante » compris comme formule métadiscursive n’est pas apparue dès le début de la grève. Au départ, l’enjeu premier de la grève étudiante était la hausse des droits de scolarité ou encore le financement des universités, mais à partir de mai, l’enjeu de la grève, c’est la « grève ». Ça ne signifie pas que la grève n’était pas énoncée avant mai – bien évidemment –, mais c’est à ce moment qu’elle porte en elle la nécessité de parler d’elle-même. Autrement dit, je suggérerais que c’est à partir de ce moment qu’il y a volonté d’archiver la grève, qu’on sent qu’elle ne pourra pas durer. Et en effet, c’est à ce moment-là que des initiatives d’archivage ont lieu, par exemple ses images, dans une multitude de blogs.

La fin du mois de mai verra de nouveau mots-clés souvent reliés à la violence et à la Loi spéciale 78, comme « État », « résistance », « casseroles », « dictature ». Avec le grand événement du mois de juin, le Grand Prix, on pourra voir apparaître « merde », « manufestation » (notamment avec le portfolio le plus consulté sur Trahir, de Mathieu Gagnon), et « carré rouge » pour la première fois avec une lettre collective dénonçant Christine Saint-Pierre.

Au-delà de la simple constatation d’une subjectivité qui tente de proposer un classement à une multiplicité qui n’était pas toujours cohérente, il est intéressant de constater qu’il se forme des liens souvent inconscients entre des séries de méta-termes qui se voulaient classificatoires (donc neutres). Par exemple, il est fascinant que « fascisme » précède « démocratie », et que « État » suit de peu « violence ». Il y a aussi des effets du hasard qui prennent après coup le sens d’une nécessité, par exemple, le seul poème relié à la grève étudiante sera publié au même moment où la violence devient un enjeu dans les textes publiés, ce qui n’est peut-être pas si anodin.

En relisant les 80 textes de la grève, je me suis rendu compte qu’à aucun moment j’ai pensé ajouter – pour ne donner qu’un exemple – le mot-clé « gratuité scolaire », expression qui a pourtant été énoncée à quelques reprises dans les textes sur la grève. Comment se fait-il que je n’ai pas été conscient de sa présence? Est-ce là un effet subjectif du discours dont je serais le seul responsable? Certes, peut-être n’ai-je pas été assez attentif au discours, mais qu’est-ce qu’un discours – c’est-à-dire ce lieu où peut avoir lieu une parole –, sinon justement un effet de subjectivité qui se montre objectivement. Toute parole nécessite des conditions de possibilités – sociales, politiques, etc. – qui lui permettent non seulement d’être énoncée, mais d’être entendue. Le mot-clé catégorisant est, je pense, le reflet de ce que je pouvais écouter structurellement lors de la grève, et je n’ai probablement pas été le seul dans cette situation. On parlait de la grève étudiante depuis le début, mais l’écoutait-on? Est-ce si étonnant, en ce début de la deuxième journée du Sommet sur l’enseignement supérieur du ministre Pierre Duchesne, que la « gratuité scolaire » devienne un de ces énoncés qui se font de plus en plus phoniques, désormais rendus articulables dans la structure du discours?

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Énième article sur la productivité académique

Par Pierre-Alexandre Fradet, Université de Montréal | le texte est disponible en format pdf

Partition de 4ʼ33ˮ de John Cage.

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Appel à contributions: Dossier « Produire académiquement »

Kazimir Malevitch, Carré blanc sur fond blanc, huile sur toile, 80 cm x 80 cm, 1918.

Des dizaines de livres, des centaines d’articles, des charges d’enseignement, des séjours de recherche, des cours sur invitation, des responsabilités éditoriales, administratives, directionnelles, des subventions, des distinctions, des interviews, des conférences, des conférences, encore et toujours des conférences : il n’est plus rare de rencontrer sur un CV académique des informations de ce genre et de cette ampleur. On rapporte souvent que faute de savoir avec précision et certitude ce qui définit un bon chercheur, en particulier en arts et en sciences humaines, il faut, pour l’évaluer, considérer ce dont il est capable quantitativement.

Quels sont les effets de ce primat du quantitatif ? L’université a-t-elle fait naufrage, comme le suggérait Michel Freitag ? Est-il possible de donner raison à ceux qui produisent beaucoup dans la mesure où l’on peut produire vite et bien et où il y a une infinité de sujets sur lesquels il est urgent de réfléchir ? Quels sont les croisements possibles entre la connaissance universitaire et les autres modes de production du savoir ?

Les textes accueillis ici pourront être soumis autant par des auteurs qui souhaitent ajouter une ligne à leur CV que par des individus qui n’évoluent pas dans la sphère académique. Contactez-nous!

Article disponible :

Pierre-Alexandre Fradet, « Énième article sur la productivité académique », février 2013.

Responsable : Pierre-Alexandre Fradet | Université de Montréal

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Appel à contributions: Dossier « Penser en grève »

Le 13 février dernier a marqué le premier anniversaire du déclenchement de la grève générale illimitée de 2012. Celle-ci a donné, continue et continuera probablement à donner lieu à la composition d’une quantité étonnante d’énoncés. À titre d’exemple, le blog de la revue Trahir, qui fêtera son premier anniversaire le 29 février prochain, a publié quelque 40 billets directement sur la grève étudiante (52 pour la hausse des droits de scolarité). L’ensemble des énoncés produits – écrits, dits, mais aussi pensés – est strictement innombrable.

Photo © Raphaël Ouellet

Chose remarquable, plusieurs de ces énoncés démontrent une réflexivité certaine, une attention aiguë aux conditions de la pensée, du discours, de l’écriture et de la mise en image. Dans Trahir, par exemple, dès le 2 mars 2012, un billet s’intéressait au rôle des « histoires personnelles d’étudiantes et d’étudiants » dans la couverture médiatique des événements. Depuis cette date, plusieurs livres ont été publiés au sujet de la grève. Un long-métrage documentaire est maintenant disponible en ligne. On peut croire que quelques thèses s’écrivent déjà… Nombre des énoncés produits ont contribué, contribuent ou contribueront à penser la grève. Toutefois, plusieurs autres ont semblé, semblent ou sembleront tenir de la non pensée. Qu’est-ce qui distingue ces deux séries d’énoncés? Que veut dire penser la grève?

Trahir invite les contributions qui cherchent à penser les rapports entre la grève et la pensée, au passé, au présent ou au futur. Qu’a pu vouloir dire penser en grève, penser la grève en train de se faire? Puis penser la grève passée? Peut-on envisager de se remettre, de repenser – sinon de repasser – en « mode grève »?

Toute contribution (entre 400 et 1500 mots) sera évaluée par notre comité de lecture. Contactez-nous!

Textes disponibles:

Simon Labrecque, « Comment vous êtes, toi et tes journées? » Penser et panser ameuté, février 2013.

René Lemieux, Usage des mots-clés reliés à la grève étudiante sur Trahir: méta-analyse objectivée d’un métadiscours subjectif, février 2013.

Responsable : Simon Labrecque | Université de Victoria

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Que peut-on attendre des États généraux sur l’éducation?

Dans la continuité de l’appel de textes sur « La politique de l’université », le blog de la revue Trahir veut savoir ce que ses lecteurs pensent des États généraux sur l’éducation – présenté comme un « forum » – du gouvernement Marois. La grève étudiante n’a certainement pas épuisé toutes les questions sur l’enseignement supérieur que ses acteurs se posent depuis de nombreuses années. C’est peut-être exactement l’inverse qui s’est produit: toutes les questions sur l’institution se sont résumées à celles sur son financement, et une dichotomie s’est construite entre d’une part les « étudiants » et de l’autre les « contribuables », ce qui a eu pour effet d’empêcher une véritable problématisation de l’éducation supérieure au Québec.

Nous voudrions, avec nos lecteurs, entamer un dialogue sur ce qui, jusqu’à maintenant, est resté ignoré, tant du côté du gouvernement que des associations étudiantes. Quels devrait être les enjeux discutés lors des États généraux? Quels intervenants devraient y être invités? Peut-on être optimiste sur ce nouveau lieu de débat? Ce lieu saura-t-il être adéquat pour tenir ce dialogue? Devrait-on penser à investir d’autres lieux? Allons-nous y perdre notre temps?

Toute contribution (entre 400 et 1500 mots) sera évaluée par notre comité de lecture. Contactez-nous!

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Le « printemps érable » – Intervista a Éric Martin

Di Lucio CastracaniDavide Pulizzotto, pubblicata la prima volta su Uninomade

Université Inc., Lux Éditeur.

Éric Martin è un professore di filosofia di un liceo di Montréal e ricercatore di un Istituto di ricerca indipendente (IRIS), nonchè dottorando all’università di Ottawa. Abbiamo scelto di intervistarlo perchè autore di un libro che ha ispirato il movimento. Nonostante non possa definirsi rappresentativo del pensiero di 200.000 student*, Université inc., scritto insieme a Maxime Ouellet, racchiude le principali argomentazioni contro l’aumento delle tasse e le politiche neoliberiste del Governo Charest. L’intervista è divisa in due parti. La prima ha l’intenzione di far sentire che tipo di atmosfera si respira qui in Québec da circa 110 giorni, attraverso la voce di Éric. La seconda verterà invece su alcuni punti critici del testo, con il tentativo di far trapelare i concetti, il pensiero e il tipo di filosofia che vibra in questo Québec in rivolta.

Puoi spiegarci quali sono i contenuti politici dell’aumento delle tasse universitarie? 

La decisione del governo segna la fine di un modo di pensare l’università. Qui in Québec il modello era molto più vicino a quello social-democratico europeo che al modello anglofono. La ministra Beauchamp, in seguito dimessa, parlava di una rivoluzione culturale: “branchement” (connessione) dell’università alle aziende, crisi della libertà accademica, addossamento dei costi formativi ai singoli individui.

Il comportamento del ministero dell’educazione del primo ministro Jean Charest è stato fin dall’inizio di chiusura, di rigidità e soprattutto di disprezzo. Durante tutto il conflitto hanno lasciato che la situazione degenerasse e, talvolta, hanno fatto delle false proposte che, alla fine dei conti, si presentano meglio come degli insulti. Ad esempio, la proposta di spalmare l’aumento delle tasse dai cinque ai sette anni, ma che, con il calcolo di alcune variabili quali l’inflazione, aumenta dai 1625 $ previsti ai 1776 $. Un solo anno accademico di 30 crediti costerà agli studenti 3793 $, senza alcuno sconto e con un maggior indebitamento e un sistema di borse meno efficiente.

Poi hanno pensato di istituire delle commissioni per la valutazione delle eccellenze, e dei meccanismi di assicurazione qualità, ma che di fatto sottostanno a logiche di mercato. Le commissioni sottometteranno le università alla valutazione di esperti che agiscono secondo criteri di pertinenza e di qualità basati sul Processo di Bologna, altra ispirazione del governo del Québec. É chiaro che qui si vuol cambiare verso i modelli universitari anglofoni ed europei post-Bologna, assoggettando il sapere ad una spregiudicata, rude e selvaggia gestione neoliberale. É il neoliberismo che stiamo combattendo. Anche per questo il clima è diventato violento.

Cosa pensi della repressione poliziesca? 

La situazione è molto difficile, ci sono persone che hanno perso gli occhi a causa dei lacrimogeni e dei proiettili di plastica, altri studenti con il braccio, la gamba o la la testa rotti. Qui non siamo abituati ad una tale repressione. Il clima è veramente degenerato. Ma non c’è solo la violenza poliziesca che stiamo subendo, ma anche quella politica e giudiziaria. I tribunali sono entrati nel dibattito politico attraverso l’utilizzazione del diritto e sancendo il ritorno in classe per alcuni licei. É un modo per depoliticizzare il movimento. Lo stesso Governo e il CREPUQ (Conferenza dei Rettori Universitari del Québec) hanno sempre cercato di criminalizzare il movimento e, invece di parlare di uno sciopero, lo accusano di boicottaggio dei corsi. I professori sono quindi costretti a ritornare ad insegnare nonostante lo sciopero da loro stessi votato. Ogni forma di solidarizzazione con gli studenti è repressa dalla polizia con cariche violente. Viviamo un periodo di disprezzo totale per la loro professione. Anche tra gli studenti, ovviamente quelli a favore dell’aumento. Molti fotografano i loro docenti per denunciarli, per fargli prendere delle multe o farli arrestare. Molti li accusano di essere comunisti, come se fosse un’aggravante. Qui non si tratta di rivoluzione, ma di accesso gratuito all’educazione.

Perché l’educazione è un diritto e dev’essere gratuita? 

Per definizione la conoscenza non è mercificabile, la sua logica di circolazione e di produzione è la cooperazione. Quando imponiamo il segreto industriale e mettiamo dei brevetti, impediamo la possibilità della conoscenza di fiorire. Come Spinoza diceva, la conoscenza è l’unico bene che una volta condiviso, non diminuisce ma aumenta. É un bene che non è assoggettato a logiche di scarsità. Quando mettiamo un prezzo alla conoscenza, freniamo le condizioni stesse della sua produzione e lo sviluppo del pensiero.

Questo è il più grande movimento studentesco del Québec. Più grosso e duraturo di quello del 2005, che inaugurò i “carrés rouges”. Cos’è cambiato? 

Ero studente nel 2005. C’era lo stesso governo Charest ma era più conciliante all’epoca. Il problema era differente. Il governo voleva tagliare le borse e i prestiti studenteschi per l’aiuto finanziario. Avevamo il consenso totale della società quebecchese, poiché un taglio di quel genere avrebbe escluso un’ampia fetta della popolazione dall’accesso all’educazione. Era un problema più semplice.

Con l’aumento delle tasse la posta in gioco è più nevralgica. È una componente strutturale del neoliberalismo, e il governo ci tiene particolarmente. Ricordiamoci che è il partito liberale che governa da diversi anni. Il problema principale è inoltre che, nel corso degli ultimi anni, c’è stato un grande sforzo di propaganda, da parte dei media e del governo, per difendere l’aumento delle tasse e incidere sull’opinione pubblica. Hanno cercato di difendersi dicendo che prestiti e borse ridurranno l’impatto dell’aumento dei costi universitari. Ma ciò è difficile da dimostrare. Nel breve termine, forse, non si noterà molto il tipo di indebitamento a cui gli studenti devono abituarsi. Ma a lungo termine la situazione cambia notevolmente e le cifre sono esorbitanti. Ma ciò che non si dice è che si tratta di una vera e propria privatizzazione dell’educazione superiore, la quale cambia anche in maniera perversa la finalità dell’università. In particolare, come si diceva, attraverso il “branchement” delle formazione alle corporazioni sotto l’unico imperativo della crescita del capitale. Il problema è la missione, il ruolo e la natura dell’università, che non può cambiare per il profitto del capitalismo.

La differenza tra il 2005 ed oggi è l’ampiezza del movimento, le reazioni del governo ma soprattutto il problema di fondo, che oggi è l’affermazione del neoliberalismo in Québec. Abbiamo l’impressione di affrontare un mostro inflessibile.

Possiamo dire che si tratta di una resistenza che studenti, professori e ricercatori, ma anche lavoratori, pongono alle politiche neoliberali di privatizzazione del settore pubblico? 

Sì, certo. Il ministro delle finanze dice chiaramente che gli studenti non sono né i primi né gli ultimi a subire tutto ciò. Si tratta di una rivoluzione culturale in tutti i settori. Nel sistema medico, ad esempio, hanno preannunciato che i cittadini dovranno assumere la mentalità per cui la sanità è un servizio a pagamento. È un’azione trasversale a tutti i settori. La forza degli studenti è di organizzarsi e di mobilitarsi, mentre la maggior parte dei lavoratori sindacalizzati, tra cui anche i professori, non possono a causa delle leggi che gli impediscono di scioperare. La “legge speciale 78” ha come obiettivo proprio la repressione giuridica e poliziesca di questa potenza.

Gli studenti hanno avuto una libertà di movimento e di mobilitazione che li rendeva capaci di sostenere e portare avanti questo movimento. Ma la legge sta risultando inefficace, perché ci sono sempre più studenti e lavoratori che scendono in strada e si uniscono al movimento. Se il governo vince questa resistenza, spalancherà la porta all’austerità in tutti i settori pubblici.

Recentemente gli studenti hanno manifestato anche contro il Plan Nord(1).

I rettori delle principali università di Montréal mettono a disposizione di Charest i propri ricercatori e professori per il cosiddetto “Plan Nord”. Hanno domandato ai ricercatori, che normalmente dovrebbero essere liberi e critici della società, di implicarsi loro stessi nello sfruttamento minerario. Questo è un esempio di “branchement” tra il pensiero libero, l’università, il sapere e l’accumulazione capitalista, le corporazioni ed il governo, che compongono una sorta di tripla ellissi azienda-governo-università, per alludere a The New Production of Knowledge, di Michael Gibbons, et altri. Il solo scopo adesso è di attirare il capitale straniero per distruggere le risorse comuni del Québec. Il “plan Nord” è un’espropriazione. Inoltre il governo non vuole discutere, dice che è stato già deciso. È un progetto di sfruttamento delle miniere ed il problema è che il “branchement” tra università, azienda e Governo esclude ogni sorta di pensiero critico.

Per giudicare lo spessore morale di Charest basti pensare alla battuta di spirito che ha fatto ridere pochi sostenitori del partito liberale, durante il convegno sul Plan Nord. Quel giorno c’erano molte persone che manifestavano fuori dal Palazzo dei Congressi che, alla fine, sono state represse violentemente dalla polizia. In quell’occasione Charest ha detto: “Si vede che il Plan Nord sta avendo successo. Ci sono già migliaia di studenti fuori, a cui possiamo trovare un lavoro al nord”. Il riferimento ai gulag stalinisti mi fa ancora accapponare la pelle. La critica la mandiamo al nord, affinché possiamo svolgere tranquillamente i nostri affari. È un’attitudine autoritaria. Il disprezzo è evidente, così come l’idea di mettere i servizi pubblici ed i territori al servizio delle corporazioni.

Durante le manifestazioni, abbiamo visto molte bandiere del Québec. Poi abbiamo ascoltato discorsi sulla lotta di classe, anche dai porta parola della “Classe” (la principale coalizione di associazioni studentesche del movimento). In che modo le istanze di classe e quelle nazionali si ritrovano e sembrano convivere nello stesso movimento? 

Il Québec è stato sempre in una posizione difficile. Negli anni ’60 un grande movimento indipendentista si poneva la questione: ci leghiamo alla lotta di classe o ad un progetto nazionalista borghese? La tendenza che ha vinto è la stata la seconda, quella di un “Québec Inc”, una piccola borghesia che non ha messo in questione il capitalismo. Ma l’indipendenza dal Canada conservatore, oggi, non significa fare del denaro. Gli studenti hanno ritrovato la direzione degli anni ’60, quella in cui socialismo e indipendenza, nazionalismo e marxismo cercavano di convivere. La critica al capitalismo deve basarsi sulla riappropriazione del comune, dell’uno-comune, ma non in una prospettiva razzista o xenofoba, o elitaria; bensì in un senso socialista. Quello che è importante non è l’economia, ma la condivisione.

Il testo di Éric, Université Inc. Des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir, riesce a smontare, in maniera sistematica e intelligente, gli otto miti per mezzo dei quali si cerca di influenzare l’opinione pubblica ed argomentare a favore di un aumento delle tasse giusto e inevitabile. In un qualche modo il testo urla che il re è nudo: il sottofinanziamento delle università è una bugia; l’aumento delle tasse ridurrà l’accesso all’università; la compensazione delle borse di studio per i più poveri non basterà a garantire il diritto allo studio; non è giusto che i medici si indebitino di più rispetto agli storici; l’investimento sul “capitale umano” è una retorica neoliberista che non coincide con la natura del sapere; non è vero che pagare meno un corso di laurea ne diminuisce il valore; le donazioni di privati e il servizio delle fondazioni minacciano l’indipendenza delle università; infine, non è vero che la commercializzazione della ricerca universitaria pagherà il sistema universitario nella sua totalità. Ricordiamo che il Québec è un’isola felice in un oceano di università che si rifanno al modello anglofono nordamericano. È l’anomalia gioiosa del Nord America, da sempre più vicino ai modelli di welfare europei.

Dietro queste contro-argomentazioni ci sono due o tre punti chiave che, in maniera trasversale, costituiscono l’interpretazione globale del testo. In particolare, l’idea di un umanismo rinnovato che sia alla base del concetto di università. Come rispondi allora alle critiche antispeciste, femministe e anti-imperialiste? Non credi che l’idea di una civiltà rinnovata a partire dal concetto di uomo, e non da quello di bene comune, per esempio, sia portatrice di una serie di valori, come l’antropocentrismo o l’occidente-centrismo, che dovrebbero essere invece superati? 

Bella domanda, grazie. Cercherò di rispondere al meglio. Per il momento assistiamo ad una strumentalizzazione dell’università, mossa da una razionalità tecnico-scientifica che si vuole al servizio della crescita del capitale. Si tende ad espellere la cultura in quanto tale, giungendo cosi ad una particolare forma di barbarie: un insegnamento rude, di bassa qualità e assoggettato a logiche di mercificazione del sapere. Questo si deve combattere e per farlo bisogna ritornare ad un altro ideale, che raccolga l’idea di una vera università, che ricordi la sua vocazione e il suo principio, ovvero l’Universitas magistrorum et scholarium. Bisogna ritornare all’universale, anche se ciò non vuol dire che intendiamo o possiamo raggiungerlo.

Io sono un allievo di Michel Freitag. Per lui, la dinamica del sapere doveva armonizzarsi all’interno di una tensione tra l’universalità e il suo ideale. In questo senso, l’università dovrebbe rincorrere il suo ideale, che è l’universale. Tuttavia, questa dinamica pone il sapere in un costante lavoro di critica e messa in discussione di se stesso. Quello che si pensa di sapere sull’uomo e il suo rapporto con la natura e il mondo non è mai una conoscenza completa e definita. Non esiste la fine della storia e, per me, ricercare un nuovo umanismo significa sapere che non lo si troverà mai. Quello che è necessario è un ritorno ad una ricerca dell’umanismo, che servirà a costruire un insegnamento di qualità. Ciò non significa, ripeto, che questi programmi di studio non devono essere criticati o non devono essere messi in discussione da critiche più attuali quali il rapporto uomo-donna, per esempio, o le ricerche anti-coloniali, o ancora il legame tra uomo e natura. Queste erano delle problematiche che, effettivamente, il vecchio umanismo antropocentrico ha sempre voluto trascurare.

In realtà, è proprio Marx che ci aiuta a comprendere questo cammino. In particolare quando diceva che l’essere generico dell’uomo è di produrre nel rispetto di se stesso, degli altri e della natura che lo circonda. Queste piste e l’apporto delle teorie critiche potrebbero arricchire il concetto d’universale e d’umanismo, che rimarranno sempre a lavoro su loro stessi. Il sapere è un work in progress, ma che cerca di cogliere il giusto rapporto tra l’uomo e il mondo. Non si può criticare il sapere sostituendo la ricerca dell’universale con l’assoggettamento al capitale. Bisogna riportare la cultura e il sapere nella propria dimora e cercare di definire questo essere in comune nel mondo. Questo dovrebbe essere il ruolo delle università. Al contrario ci prepariamo al suicidio delle società.

Un altro elemento chiave del libro è proprio il ruolo dell’università. Nella prima parte del libro si argomenta contro la retorica del sottofinanziamento delle università, che giustificherebbe questo aumento delle tasse. La contro-argomentazione si incentra invece sull’idea di un mal-finanziamento, che aiuterebbe a spiegare le ragioni di un congelamento della retta universitaria. Il problema è che il concetto di ricerca viene ridimensionato a favore del concetto di insegnamento e di trasmissione del sapere. In parole povere, si dice che la causa del mal-finanziamento sia un sovra-finanziamento nella ricerca. Non credi che sia pericoloso argomentare contro un’università della ricerca, in quanto fulcro del concetto di università neoliberista, e a favore invece di un’università dell’insegnamento, come dimora del sapere nel nuovo umanismo? 

Sono convinto che il ruolo delle università sia di trasmettere il patrimonio comune dell’umanità e di sviluppare un pensiero critico. Ciò significa che l’insegnamento è prioritario. La ricerca deve essere solo libera ed indipendente e mai una ricerca strumentalizzata o mercificata. Il sottofinanziamento è una mensogna creata ad hoc dal CREPUQ (Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec), che non calcola mai per intero l’afflusso totale di denaro che arriva alle università. Invece in Québec c’è una spesa media per studente che supera di gran lunga la media del Canada anglofono e del Nord America in generale. Questo dimostra che i rettori si lamentano con la bocca piena. Il vero pericolo del mal-finanziamento è che il potere dominante possa distorcere il senso della questione per trarne vantaggio. Allora potremmo trovarci di fronte a nuove forme di gestione delle università che, in nome dell’efficienza e del profitto, assecondino la privatizzazione e il controllo del sapere, tagliando magari su programmi di studio poco inclini alla commercializzazione, come i saperi umanistici. Per questo motivo ritengo sia utile mostrare che la maggior parte del denaro pubblico va alla ricerca a non all’insegnamento; che ci sia una ineguaglianza tra programmi di studio più redditizi e programmi meno commercializzabili (per esempio medicina veterinaria vs letteratura); e che infine anche tra università più eccelse e meno eccelse ci sia questa disparità di finanziamento, allora che “University McGill” riceve 30.000 $ di denaro pubblico per studente, mentre L’“Université du Québec à Rimouski può contare sulle misere 9.000 $ per studente. La questione del finanziamento deve rispondere a criteri che sono inerenti all’educazione e alla formazione, e non a logiche di libero mercato. Prima di decidere le politiche di finanziamento delle Istituzioni del Ministero dell’Educazione bisogna chiedersi a cosa serve l’università e qual è la sua vocazione e il suo ruolo all’interno della società. Ciò significa slegare il finanziamento pubblico universitario dalle logiche imprenditoriali del libero mercato. Lo Stato dovrebbe perseguire il bene comune, appunto, e non soltanto l’interesse privato di qualche imprenditore.

Un capitolo del testo è dedicato al concetto di capitale umano, definito come una retorica antipedagogica che serve a disciplinare gli individui. Poi si specifica in che modo proprio l’indebitamento degli studenti sia una delle cause principali di disciplinamento stesso del sapere. Facendo allusione alla definizione di Foucault sui “corpi docili”, si può parlare oggi di un “sapere docile” come mezzo attraverso il quale il potere domina le soggettività? 

L’indebitamento degli studenti è il principale mezzo di assoggettamento. I giovani sono costretti a ragionare in termini utilitaristici e d’investimento personale, come se fossero dei piccoli imprenditori di se stessi. C’è tutta una cultura dietro che supporta questo tipo di ragionamento e che socializza i giovani all’idea che l’educazione serva alla ricerca di un impiego, che sia un atto individuale e non collettivo, che sia un percorso di miglioramento del proprio saper-fare e non più un percorso di formazione di un bagaglio culturale. Degli studenti mi hanno raccontato di essere andati ad una serata di gala per la fine dell’anno accademico in cui, dopo la resa pubblica dei risultati dei miglior studenti, si è svolta una conferenza i cui relatori erano soltanto imprenditori o delegati di grandi imprese. Si tratta di diffondere una emulazione dell’investitore e dell’imprenditore, un attitudine all’“Io inc.”. Se guardiamo alcune campagne pubblicitarie delle Università di Ottawa, per esempio, lo slogan di base è: “I’m investing in myself”. C’è un immaginario dello studente come investitore di se stesso, che supera così la questione dell’indebitamento e che si basa sulla finanziarizzazione di se stessi. Per le banche che partecipano alla finanziarizzazione dell’economia, il debito degli studenti diventa una fonte di speculazione: un prestatore investe sulla formazione di alcuni individui per trarre profitto dal loro salario futuro.

Del capitale umano già Marx ne parlava nel 1859 in maniera assai critica, svelandone la subdola retorica manipolatrice al servizio del capitalismo. Fu l’utilizzazione di Stalin che rovesciò la connotazione del concetto da negativa a positiva, e che affermò “l’uomo come il capitale più prezioso, la cui utilizzazione, cosi come quella delle macchine, doveva essere razionalizzata; al fine di produrre una grande crescita delle forze produttive”. Mi pare che sia assai inquietante vedere che un termine di Stalin venga ripreso dall’OCSE e diffuso ideologicamente dai media mainstream e dalla politica partitica.

Quindi i fallimenti vengono percepiti come un fallimento personale… 

Sì, come una perdita in borsa. È un gioco di rischi e scelte razionali, di cattivi investimenti e buon calcoli, di scelte di portafoglio. Siamo di fronte alla finanziarizzazione della vita. Lagovernamentalità di Foucault ci basta per capire come oggi il neoliberalismo e il capitalismo governino per mezzo della libertà. Si dice che gli esseri sono liberi, ma poi si pongono tutta una serie di restrizioni che, di fatto, alienano la libertà. Gli studenti vivono quindi l’incubo del debito, della pressione, del calcolo del tempo, etc. Il neoliberalismo vuole un uomo nuovo, che non è un nuovo umanismo, ma una matematizzazione ed economicizzazione dell’esistenza. È un impoverimento enorme della cultura.

Ultima domanda. Nel testo è evidente una dura critica al capitalismo cognitivo, considerato una ideologia al servizio della mercificazione del sapere e della strumentalizzazione economica e finanziaria degli student*. Ci chiediamo se invece proprio l’analisi del capitalismo cognitivo e delle trasformazioni del lavoro post-fordista, insieme al lavoro critico condotto in Francia e dai post-operaist* italian* non sia la lente attraverso la quale analizzare le politiche neoliberiste. Perché è evidente che i soggetti e le conoscenze sono diventati il capitale fisso delle aziende. Il capitalista ha perso la funzione di organizzare il lavoro e fornire i mezzi di produzione. Il lavoro vivo e il lavoro morto si ricongiungono nei corpi. È possibile allora, secondo te, ribaltare la questione, dicendo che tutto ciò, il sapere, gli affetti, le relazioni, i corpi, fanno parte del comune, e non più del privato o del pubblico? Di quel comune che tanto ricerchiamo? È possibile, per concludere, argomentare, attraverso il capitalismo cognitivo e l’idea che il sapere sia un bene comune, a favore del libero e gratuito accesso alla formazione? 

Veramente una bella domanda. Secondo me, l’economia del sapere è uno stadio del capitalismo il quale, per continuare a creare valore, cerca di razionalizzare e valorizzare la formazione della mente e la formazione della manodopera; al fine di rendere flessibile la mente e farla coincidere con l’ibridazione post-fordista. In fin dei conti, l’economia del sapere è una locuzione ideologica che designa il capitalismo avanzato, in crisi, che ha bisogno dell’eredità che Marx chiamava “morale-storica” e della privatizzazione della dimensione simbolica della produzione umana per creare un valore.

Per quanto riguarda Negri e gli operaisti, con il rischio di portarvi dispiacere, credo che facciano un errore fondamentale. Hanno la tendenza a valorizzare molto le singolarità autoproduttive e l’idea che l’unico problema sia l’Impero, e che una volta sconfitto, il comune si dia in maniera autonoma e immediata, attraverso l’esperienza della sua produzione copiosa. Io sono piuttosto hegeliano-marxista, il mio lavoro parte da una analisi del capitalismo intesa come una forma di mediazione sociale. Questa mediazione non risiede solo in un potere esterno, ma è anche una forma di rapporto sociale che esiste all’interno della classe operaia. Per me è inconcepibile che la moltitudine si offra immediatamente a se stessa, e che non sia già strutturata essa stessa da una forma di mediazione feticista del rapporto sociale, ovvero il lavoro astratto. Per cui il ritiro del potere dominante non pone le condizioni per la determinazione di un soggetto puro, che si offre a se stesso attraverso una autoconoscenza di se stesso. Bisognerebbe invece intraprendere una critica del valore astratto e della forma-valore come forma di mediazione sociale, che implicherebbe una critica del lavoro e, anzi, la sua stessa abolizione. Naturalmente l’abolizione del lavoro astratto e dunque del valore astratto. Il fine è di raggiungere un concetto non astratto della ricchezza reale. Dopo di che, bisognerebbe pensare ad altre forme di mediazione e di istituzioni che creino le condizioni di una libera condivisione della conoscenza. Ciò però non si basa solo sull’idea dei software liberi e dell’open source, ma sull’idea di un’istituzione delle mediazioni sociali, in senso hegeliano, che abbiano il ruolo di ricreare dei rapporti non feticizzati. Dunque produrre dei legami sociali non feticisti, di cui la principale caratteristica sarebbe nell’ordine della gratuità e del dono. La lettura spinozista-marxista anti-giuridica, qui penso ad Anomalia Selvaggia di Negri e alla prefazione di Deleuze, critica violentemente Hegel e la tradizione giuridica. Secondo me, purtroppo, una società del dono dev’essere istituita. Ad un certo punto bisogna pensare al momento del diritto e dell’istituzione. Il comune non si dà attraverso delle connessioni libere tra singolarità autoproduttive, ma questo deve essere piuttosto istituito. La mediazione hegeliana è indispensabile e, secondo me, se Marx avesse avuto il tempo di scrivere la sua teoria positiva dello Stato, forse, avremmo potuto intravedere una migliore articolazione tra la struttura hegeliana e quella di Marx.

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(1) Il Plan Nord è un programma economico di sfruttamento delle risorse naturali (minerarie, forestali e di gas) del Grande Nord del Québec, e in particolare le regioni di Côte nord e Saguenay-Lac-Saint-Jean. Oltre alla privatizzazione delle risorse naturali, citata da Eric, il piano prevede anche l’espropriazione dei territori di alcune popolazioni autoctone. Per tale motivo, gli Innu e gli Anishnabe si sono schierati contro il programma.

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Sur la resémantisation dans le discours social: le cas de la « grève étudiante »

Par René Lemieux | Université du Québec à Montréal

Le débat sémantique qui vise à savoir si le « conflit étudiant » (nouvelle formulation – neutre? – de Radio-Canada) est une « grève » ou un « boycott » (ou son dérivé, « boycottage ») n’en finit pas. On a tour à tour pu lire et entendre les avis des chroniqueurs sur la question (Jean-Félix Chénier, Renart Léveillé, Jean Barbe ou Jean-Luc Mongrain), du lexicographe Guy Bertrand, l’ayatollah de la langue de Radio-Canada à C’est bien meilleur le matin, jusqu’à de très sérieux avis juridiques (notamment de l’Association des juristes progressistes). Admettons-le, la grande majorité des avis penche en faveur du mot « grève », et pour cause, « grève » (qui avait toujours été utilisé jusqu’à maintenant), et plus précisément « grève politique » permet assez bien de comprendre la réalité du conflit entre le gouvernement et ceux qui s’opposent à la hausse des droits de scolarité, en tout cas, selon l’Office québécois de la langue française :

grève politique n. f.

Définition :
Grève dont l’objet est d’amener le gouvernement à modifier sa politique ou son attitude sur un point donné.

Note(s) :
Il faut remarquer qu’elle est faite contre l’État gouvernement et non contre l’État employeur.
Mots apparentés : grève insurrectionnelle; grève révolutionnaire.

Entrée « grève politique » dans le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française

Pour ma part, ce qui m’intéresse, ce n’est pas le « bon mot » à utiliser, mais plutôt de comprendre les implications stratégiques de ce qui ressemble fort à une confusion qui est à l’œuvre. Utiliser un mot plutôt qu’un autre dans l’ordre du discours – même lorsqu’il s’agit d’un référent identique – est « normal » dans la vie sociale du langage, c’est même un des moyens que possède la langue pour évoluer. Il peut arriver des moments de confusion – par exemple la rencontre de deux dialectes proches – qui résultent généralement dans l’abandon d’un des termes au profit de l’autre (doit-on dire « chicon » ou « endive »« courriel » ou « e-mail »? les pages de discussion de Wikipédia sont exemplaires, et pour cause, ce projet encyclopédique se veut la rencontre de tous les francophones du Web). Il y a un désir « normal » d’unité signifiante « mot = chose » qui ne peut résulter que dans une lutte à finir parmi les prétendants linguistiques adversaires.

Qu’en est-il de la confusion du débat en cours sur la hausse des droits de scolarité au Québec? On connaît tous le problème des mots « grève » et « boycott », Normand Baillargeon a quant à lui suggéré les mots « démocratie », « anarchie » et « violence », on a pu lire pas mal de choses sur la « juste part » du ministre Raymond Bachand (il avait même dit qu’il était de l’ordre de la « justice sociale » de voir les étudiants payer plus). De loin, la meilleure trouvaille, pourtant passé inaperçue, était celle de Raymond Bachand qui ne parle plus désormais de « hausse des droits de scolarité », mais de « hausse du financement des universités » (alors qu’un des arguments de ceux qui s’opposent à la hausse, c’est que le financement est bien suffisant). Récemment – et là j’avoue mon incapacité théorique à le comprendre (une aide ci-dessous en commentaire serait appréciée) – on a pu entendre Line Beauchamp parler de la CLASSÉ (avec l’accent aigu…) plutôt que de la CLASSE normalement utilisé (une première après dix semaines de grève, c’est douteux), prononciation relayée par Liza Frulla à l’émission Le Club des Ex de Radio-Canada (on aura pu même entendre Simon Durivage la corriger : « CLASS-EU, Liza, CLASS-EU »), et le petit monde médiatique suivre cette nouvelle prononciation. Une prononciation particulière – tout comme un mot – n’est jamais neutre, elle fait généralement l’effet d’une « faute de goût », d’un « fashion faux pas » de la langue, lorsque l’individu prononce différemment du groupe à qui il s’adresse (qui ne s’est jamais fait reprendre pour la prononciation d’un mot?). Cette faute donne généralement l’impression d’un manque d’éducation, sinon de savoir-vivre.

Or, prononcer un mot différemment ou utiliser un autre mot ne relève pas ici d’une indécision, résultat d’une rencontre de deux « prétendants » dialectales dans un même espace langagier, mais d’une volonté de donner aux termes une nouvelle connotation, stratégie médiatique de plus en plus utilisé dans la communication politique. Cette stratégie a été théorisée par George Lakoff, notamment dans son livre Don’t Think of an Elephant (l’éléphant faisant référence au Parti républicain : la phrase vise à montrer que la sentence « ne pense pas à un éléphant » donne immédiatement, à celui qui la reçoit, l’image mentale d’un éléphant – la phrase a notamment été popularisé par le film Inception, voir ce clip). Cette stratégie a aussi été utilisée par le ponte de la communication Frank Luntz, celui qui fut connu pour avoir détourné l’expression « global warming » (réchauffement planétaire) avec une nouvelle, « climate change » (« changement climatique », plus neutre) (pour une appropriation humoristique de cette stratégie, voir les entrevues de Stephen Colbert avec Frank Luntz, notamment sur Gawker). Tout ce débat sur les mots ne serait-il donc qu’une basse stratégie médiatique de plus de la part du gouvernement, qu’une vulgaire manipulation du langage politique?

Rechercher la confusion?…

Cette stratégie de rebrandingdu Parti libéral du Québec fonctionne-t-elle vraiment? On notera en tout cas que la stratégie a légèrement été modifiée : au départ, du côté gouvernemental, on « corrigeait » les intervenants médiatiques, ce qui forçait le locuteur à utiliser les deux expressions, mettant au jour le processus et du même coup abolissait son efficace (c’est exactement la tournure humoristique à l’œuvre chez Stephen Colbert, en montrant le processus, on supprime l’effet d’occultation). Désormais, on n’utilise systématique que la nouvelle expression, sans moindrement faire allusion à l’autre. Donc je reprends : la stratégie fonctionne-t-elle? Est-ce que cette novlangue, comme l’ont surnommé plusieurs commentateurs (faisant référence au « Newspeak » d’Orwell), porte ses fruits?

Outre le fait qu’on ne cesse d’en parler, preuve que ça ne marche pas très bien, j’estime que ce rebranding peut avoir des conséquences politiques autres. Plus précisément, le fait même d’en parler constamment comme on le fait montre que la réduction du langage et de la pensée – qui est le but de la novlangue – ne fonctionne pas, et que ces « nouveautés » sémantiques créent au contraire plus de confusion (à moins que la confusion soit le but de l’exercice, ce n’est pas à moins d’en juger… je pense toutefois qu’un mouvement contraire de « clarification » a lieu en ce moment, plus inquiétante encore, j’y reviendrai).

Revenons au débat grève/boycott, et regardons cette vidéo exemplaire, parce qu’elle a été prise, disons, sur le vif d’une discussion entre un partisan de la hausse et un opposant.

Diffusée il y a quelques semaines, cette vidéo n’est pas moins représentative, d’abord de l’état présent de la confusion générale dans l’ordre du discours, ensuite du glissement progressif, mais rapide, qu’il y a eu dans le discours social quant au conflit en cours, de l’opposition entre « être pour ou contre la hausse » à « être pour ou contre la grève (et les manifestations) » (j’y reviendrai). On y voit un photographe qui interpelle des manifestants pour ridiculiser la manifestation à laquelle ils participent, et leur dit « vous faites la grève de quoi? vous êtes même pas payés, gang de morons », et leur dit, et c’est à retenir : « Allez donc travailler, estie! »

Quelle était l’intention de ceux qui préconisaient le mot « boycott »? Était-ce de confondre les locuteurs? Ce fameux « allez donc travailler, estie! » a ses conséquences. On boycotte quoi? un produit, une marchandise, une marque de commerce particulière. Si on boycotte, c’est qu’on a le choix de préférer un autre produit ou une autre marque, le but étant de faire plier une compagnie. On ne peut pas répondre à quelqu’un qui boycotte quelque chose par un « retourne au travail », ni même par un « retourne consommer »! Il n’y a pas de réplique possible en réponse à un boycott. Tout le débat sur la judiciarisation du conflit aurait perdu son sens s’il s’agissait d’un boycott : à ce que je sache, on ne peut pas émettre une injonction à l’encontre d’un consommateur pour l’obliger à consommer un produit ou une marque de commerce particulière – mais on peut émettre une injonction pour le retour au travail…

L’intention des créateurs de ce mot était-elle de confondre, simplement? Car s’il y a flottement de sens sur un terme comme sur l’autre dans le discours social, il y a quand même des connotations associées aux deux termes. D’abord, parler de boycott, c’est de faire du diplôme universitaire une « marchandise », et je ne crois pas abuser de leur intention en le soulignant. Le message, c’est : tu paies pour un service (ou une marchandise) et tu reçois un gain (financier, c’est implicite), donc il vaut la peine d’investir (plus), même si tu as à t’endetter, pour ton avenir – c’est un « investissement » (sous-entendu « personnel »). Le message de ceux qui s’opposent à la hausse est plus confus. D’abord, étudier à l’université, c’est d’abord travailler (certains parleront d’un travail « intellectuel », mais quel travail ne l’est pas?). Ensuite, l’éducation n’est pas un service, c’est un droit. Et puis, s’il faut payer, alors il ne faut pas que cela se fasse avec la conséquence du surendettement. De plus, si c’est un investissement, alors ça doit être un investissement collectif, puisqu’il permet à tout le monde de s’enrichir. Et puis de toute manière, ce n’est même pas un investissement parce que celui qui détient le savoir ne la possède pas. En bref, le discours de ceux qui s’opposent à la hausse, pour le dire bêtement, n’est pas clair du tout, il est même confus, autant, sinon plus que celui qui veut préconiser boycott plutôt que grève. Oui, je pèse mes mots, les opposants à la hausse ont un discours confus, proféré par des « inexistants », au sens où l’entend Alain Badiou dans Le réveil de l’Histoire. C’est le discours politique de ceux qui ne possèdent rien devant le pouvoir, c’est le discours typiques des grands mouvements de masse – des révoltes arabes aux mouvements des Indignés –, ou pour le dire en paraphrasant Sieyès : Que sont les opposants à la hausse? – tout. Qu’ont-ils été jusqu’à présent? – rien. Que demande-t-il? – à être quelque chose.

L’envers de cette incohérence, c’est paradoxalement l’aspect dialogique de cette mouvance. Du côté gouvernementale, tout va, si on me permet l’expression, en droite ligne. De l’autre côté (des manifestants, mais pas seulement ceux-là), ils discutent, ils s’opposent entre eux, ils s’affrontent et se contredisent, bref, ils dissonent. D’un côté l’unicité quasi-monolithique du discours (« ferme », comme on dit), de l’autre, la multiplicité des perspectives et des prises de position, ils sont, pour le dire en deleuzien, des lignes de fuite.

Les arguments de ceux qui s’opposent à la hausse sont plus confus, certes, ils sont aussi plus « pragmatiques », car ils sont à la traîne du discours gouvernemental qui est, soit dit en passant, beaucoup plus « idéaliste », parce que relevant essentiellement de la « main invisible » (néo)-libéral, contrairement à ce que Frédéric Mercure-Jolette a pu écrire sur ce blog. Le discours gouvernemental domine largement le discours social. Certes, sur la question de la « grève » ou du « boycott », il est clair que, sur le fond, ce sont ceux qui prônent l’usage de « grève » qui ont raison. Mais le fait même d’en parler (aussi abondamment) devrait plutôt servir d’indice que quelque chose se passe dans le discours social. Est-ce seulement la confusion des termes? À bien des égards, le fait que deux mots co-existent montre, en tout cas, non seulement qu’il y a deux camps qui s’affrontent, mais qu’ils sont reconnaissables phénoménalement dès qu’ils commencent à parler. Si un interlocuteur vous demande ce que vous pensez du « boycott », vous savez déjà ce que lui pense de ce conflit : si le gouvernement a pu créer un coup de force dans le langage, ce n’est pas parce qu’il a créé des mots qui modifient les signifiés que nous avons des discours qui circulent sur ce conflit, c’est parce que le choix des mots que nous utilisons (parfois inconsciemment) détermine dans le cas présent l’opinion que nous avons de la réalité, résultant dans une incapacité à dialoguer avec qui que ce soit qui ne serait pas du même « bord » que nous.

Ou la polarisation…

Ainsi, la tentative de « confusion » du Parti libéral du Québec devient plus claire : elle ne vise plus à confondre (même s’il faut noter une certaine confusion au niveau des opinions émises), au contraire, elle est en train de créer un ordonnancement, ou si on veut, une polarisation du type « nous contre eux ». Ainsi, la tentative de « confusion » du Parti libéral du Québec devient plus claire : elle ne vise plus à confondre, au contraire, elle est en train de créer un ordonnancement, ou si on veut, une polarisation du type « Nous contre eux ». Michèle Ouimet, dans La Pressequalifiait récemment Line Beauchamp du titre de « dame de fer », se référent à Margaret Thatcher. La comparaison est plutôt exagérée (à moins qu’on compare la « guerre » contre les étudiants à la guerre des Malouines) sauf sur un point : « Thatcher » est un coup de force dans le langage, elle a su développer un type de langage populiste particulier en simplifiant le langage social : dans sa volonté de changer tout le système social britannique, elle a réussi à monter progressivement contre ses opposants (principalement les syndicats), la société toute entière. De toute la diversité des opinions qui circulent dans le monde social (ordre syntagmatique), elle a institué progressivement une seule opposition du type « nous/eux » (sur la question du langage populiste et d’une critique sémiologique de sa politique, voir les travaux d’Ernesto Laclau, notamment dans On Populist Reason). De même ici, entre les grévistes et, potentiellement, tous les autres acteurs de la société : les « contribuables », « ceux qui veulent assister à leur cours », le « système judiciaire », etc. Le « gouvernement » (comme acteur symbolique du discours) prend sur lui l’ensemble des opinions en les supprimant petit à petit. Même ceux qui sont « contre la hausse » sont, de ce point de vue, du côté du gouvernement puisque la nouvelle donne du langage n’est plus entre « partisans » et « opposants » de la hausse, mais, après avoir été entre « ceux qui manifestent » et les « autres », c’est maintenant entre « ceux qui ne dénonce pas la violence » (nommément la CLASSE) et le reste de la « société ».

Ce type d’organisation populiste du discours social a permis à Thatcher, paradoxalement, de « détruire » la société – puisqu’elle disait, on connaît tous la formule, qu’elle n’avait jamais vu de société, seulement des individus. C’est exactement ce qu’est en train de faire Line Beauchamp, et à ce qu’on peut constater, ça fonctionne très bien jusqu’à maintenant.

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La dérive

Par Joan Sénéchal | Collège Ahuntsic

On se demande tous comment dans les années 1930, autant de démocraties européennes ont pu soudainement devenir des régimes autoritaires, bafouant les droits et les libertés des individus, emprisonnant des syndicalistes, enlevant des opposants, assassinant des intellectuels, massacrant des manifestants.

La réponse, nous la vivons aujourd’hui.

Des hommes politiques prétendent obéir à l’impérieuse nécessité du moment, au danger du chaos. Des juges obéissent aux demandes d’injonctions et de jugements immédiats. Des établissements scolaires obéissent aux demandes des politiques et des juges. Des policiers, des services d’ordre et de sécurité obéissent aux demandes des recteurs, des directions, des maires et des gouvernements.

Et l’on arrête les manifestants. Et l’on arrête les professeurs. On les expulse. On les tabasse un peu au passage. On les menace d’amendes et d’incarcération. On leur ordonne de faire cours en silence, de suivre pas à pas le programme qu’il s’était prescrit en d’autres temps, d’autres lieux, quand le Québec était encore un pays démocratique et qu’on y respectait les étudiants et les professeurs. On les enjoint, matraque dans le dos, de retourner sur les bancs de l’école. On les force à rentrer dans le moule de leur fonction, de leur tâche respective, la tête baissée, le corps conciliant.

Et face à cette tentative assumée de mise au pas, les esprits réactionnaires se réveillent. Ils appellent à davantage d’ordre, à davantage de tabassage, à davantage de menaces. Certains même expriment leur volonté de sang. Et chaque policier, chaque agent, chaque constable, poussé par ses gouvernants, poussé par ses concitoyens, se sent alors investi de la mission sacrée de maintenir un ordre devenu figure imaginaire délirante, devenu projection mythologique de tout ce qu’il hait. Le déguisé. Le jeune. L’expansif. Le perturbateur. L’entraveur. L’insoumis. Le nuisible.

Dans un pays où le gouvernement envoie des messages de retour à l’ordre, et où il conduit avec systématisme une campagne de violence politique, administrative, policière, judiciaire et médiatique à l’égard de ceux qui ne s’y conforment pas, chaque forcené de la paix, chaque fanatique de l’alignement est légitimé à faire de lui un petit justicier-milicien dont les actes d’agression seront autant de faits de bravoure. Et il n’est pas étonnant qu’en ces jours, se multiplient les anecdotes relatant des débordements sécuritaires et des initiatives personnelles abusives de la part de représentants de l’ordre. Pour ceux-ci et ceux-là, tout acte de désobéissance, tout refus d’obtempérer, devient un crime majeur dont il s’agit de tuer dans l’œuf toute possibilité de contamination et d’exemplarité.

C’est ici que l’imposture du gouvernement éclate au grand jour. Lui qui prétend défendre les intérêts des étudiants en ne cédant pas à la grève, se trouve à arrêter des professeurs et des étudiants, créant par là-même le climat le plus délétère qui soit pour qu’une classe puisse avoir lieu. Son but, ce n’est pas l’éducation, ni l’enseignement, ni les étudiants. Son but, c’est l’ordre. Sa motivation, c’est la pulsion de l’ordre.

Les régimes fascistes des années 1930 avaient axé leur passion de l’ordre sur des obsessions raciales et identitaires. Ils haïssaient les immigrants, les colorés, les juifs, les homosexuels ou les malades mentaux… en un mot, tous les « décadents » et les « dégénérés » qui pouvaient nuire à la pureté de la race.

Notre fascisme à nous vénère un ordre d’une autre nature, qui est loin d’être plus inoffensif : l’ordre économique. Et avec autant de naturel que les politiques et les bonnes gens des années 1930 haïssaient tous ceux qui appartenaient aux dégénérés, nos politiques et nos bonnes gens haïssent les contestataires de système économique en place, les ralentisseurs de flux, qu’ils soient manifestants, grévistes, intellectuels en appui ou assistés sociaux. Ils les haïssent de toutes leurs forces, comme autant d’ennemis, comme autant de causes de leurs malheurs quotidiens.

En ce printemps 2012, la dérive a lentement mais sûrement commencé. On peut s’y lancer à corps perdu, aveuglés par l’étranglement des dettes et de la compétition internationale, ou l’on peut l’interrompre. Rappelons-nous juste que le potentiel de haine requis pour que la violence fasciste se déchaîne à plein ne disparaît jamais. Endormi comme le volcan, comme le dragon, comme l’anneau maléfique, il attend en chacun de nous que l’on vienne l’agacer, que l’on vienne le flatter.

Ce texte a aussi été publié dans Le Couac et dans Les Nouveaux Cahiers du socialisme. Il a été lu le jeudi 19 avril 2012 devant le SPVM lors d’une action où des Profs contre la hausse se sont préventivement livrés aux policiers, en signe de solidarité avec les collègues et étudiants arrêtés à l’Université du Québec en Outaouais. Le même texte, légèrement modifié, a ensuite été lue devant le Palais de Justice de Montréal, cette version est disponible ici.

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