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Gilles Labelle est professeur titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa.

Débat sur l’institution – correspondance entre Dalie Giroux et Gilles Labelle

Par Dalie Giroux et Gilles Labelle, Ottawa | aussi disponible en format pdf

Voici ce que je comprends de ta thèse sur l’état actuel de la société : l’interprétation est à l’effet que la gauche (plutôt que le conservatisme actuel des Bush ou Harper), en tant qu’elle aura représenté un mouvement qui a historiquement contribué à délier les individus, a également contribué à nous « jeter dans les bras du marché ». La psyché de l’homme démocratique a été réalisée par la gauche, et cette psyché s’accorde parfaitement avec les exigences du marché, qui se fondent sur l’individualité et l’égalité.

Cette interprétation de l’histoire politique du xxe siècle en Occident repose sur l’idée que ce qui permet de résister au marché, se sont les institutions, c’est-à-dire ces espaces qui, dans la société, sont des espaces qui sont fondés sur le principe de médiation. La médiation telle que tu la définis impliquerait trois termes : deux égaux et un principe dont la reconnaissance générale participe du concept d’autorité. La médiation, comme modèle de structuration de l’espace

social, s’oppose au marché, qui n’implique lui que deux termes : deux égaux qui entrent en relation sur une base consensuelle et contractuelle.

Mes questions et réflexions sont les suivantes : (1) Est-ce que le marché n’est pas, également une « institution » ? Dans le marché, il y a des égaux, certes, mais il y a aussi un principe qui assure la médiation. Il s’agit de l’argent en tant qu’opérateur universel. L’argent représente une mesure de valeur, et cette valeur existe en tant que la communauté humaine lui accorde foi. De plus, on reconnaît au système d’échange qui réalise cette valeur – le marché – une autorité « naturelle », dans la mesure où les lois qui régissent le marché sont tenues pour exister indépendamment de l’action humaine. En ce sens, le marché comprend aussi un principe d’autorité (on parle d’ailleurs dans le langage commun de « l’autorité des marchés »), et l’application de ce principe est assurée, enforced comme dirait Derrida, par d’autres institutions (État, droit). À ce titre, ne faudrait-il pas préciser la distinction que tu poses entre ce que tu appelles « institution » et ce que tu appelles « marché » ?

D.G.

Ta question-intervention me force à définir avec plus de précision ce que j’entends par « institution ». Une institution ne se réduit pas pour moi à la médiation et ni non plus à l’autorité qu’elle peut incarner à l’égard de ceux dont elle règle les rapports (auquel cas il n’y aurait aucunement à parler actuellement d’une « crise de l’institution » comme je le fais); il faut, pour parler d’une institution au sens strict, que l’autorité associée à la médiation soit posée à la fois comme antécédente et comme transcendante à leur égard. Autrement dit, médiation et autorité doivent se poser comme irréductibles à la volonté des acteurs ou à l’expression de leur relation. Cela n’est possible que si l’institution a un ancrage symbolique (que si l’institution est une institution symbolique), c’est-à-dire que si elle est un signe – un signifiant pointant en direction d’un signifié qui est : il y a un principe originaire (arkhè) qui n’est pas à la disposition des acteurs au présent et qui n’est pas leur expression.

Le marché (comme le droit, donc l’État) sont des médiations, qui incarnent une forme d’autorité. Mais celle-ci n’est censée être rien d’autre que, ou bien le fruit du consentement de l’individu délié, ou bien l’expression des rapports entre individus déliés. C’est cette forme de médiation et d’autorité que vise à fonder dès son commencement le libéralisme (de Hobbes à Adam Smith). Toutefois, le libéralisme reconnaît ses limites sinon formellement du moins en pratique pendant une très longue période : d’une part, il maintient des espaces qui ne sont pas régis par cette logique où la médiation et l’autorité ne sont rien d’autre que des « représentations » (littéralement des « re-présentations », des présentations à un autre niveau que la présentation originelle) des individus déliés (famille, Église, etc.); d’autre part, même les médiations et les formes d’autorité leur correspondant censées n’être que des dépendances de l’individu délié (État, droit, marché) continuent d’émettre des signes qui indiquent leur irréductibilité aux acteurs et à leurs relations. Par exemple, l’État n’est pas que l’expression des contractants, il est aussi associé à une majesté qui pointe en direction de la Loi (la raison, la justice), qui est fondatrice d’une communauté; même chose, par extension, du droit; l’argent (exemple que tu cites), quant à lui, n’est pas que l’expression de la richesse accumulée du fait des relations d’échange et des contrats privés, il pointe en direction de référents (comme le montrent les signes inscrits sur les billets ou les pièces de monnaie par exemple) qui font également communauté.

L’État devenu gouvernance; le droit réduit à la procédure réglant les rapports entre ayants droit; l’argent (et le marché) comme expression purement abstraite de la richesse accumulée : « dé-symbolisation » du monde, dés-institution symbolique du monde. Absence d’autorité, c’est-à-dire avec impossibilité d’énoncer un tiers symbolisant qui fasse communauté et auquel on puisse en appeler contre l’état des choses; mais autoritarisme, certes, car comment résister à une puissance qui n’est censée être que la représentation de ce qui se présente originellement (les individus déliés, leurs rapports) ? Hobbes était fort cohérent : l’autorité du Souverain comprise comme expression ou représentation des contractants est absolue – c’est cela l’autoritarisme. La confusion (libérale) entre l’autorité et l’autoritarisme nous empêche précisément de penser cela.

Pourquoi des institutions (au sens entendu ci-dessus) me demanderas-tu? Parce que la subjectivité humaine n’est pas naturelle, qu’elle est le produit d’un art. Ou bien on la « fabrique » (dixit Pierre Legendre) dans l’institution, c’est-à-dire dans une douleur qui lui fait admettre qu’elle n’est pas une toute-puissance, ce qui lui permet à la fois de s’inscrire dans la réalité (principe de réalité) ET de phantasmer, c’est-à-dire de désirer un réel qu’elle peut éventuellement chercher à faire advenir dans et contre la réalité. Ou bien, c’est ce qu’on nous propose actuellement, on court-circuite cette « fabrication », au nom de l’émancipation et de la liberté, et on produit une subjectivité installée à demeure dans un état originel de toute-puissance, incapable de distinguer entre la réalité et le phantasme, ce qui est une bonne façon d’empêcher qu’adviennent des « points de réel » (si on n’a pas de désirs au-delà de la réalité et qui lui contreviennent, comment agir sur celle-ci ?) et concomitamment d’installer la subjectivité dans un état dépressif permanent (si je peux tout faire et que je ne fais rien, c’est donc de ma faute).

Rien de très original dans tout ceci au fond – c’est un mélange des thèses d’Ehrenberg, Lasch, Michéa, Freitag – tous des « anarchistes tories » à mes yeux, défenseurs de l’institution parce que critiques du capitalisme.

G.L.

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Merci. À la liste d’auteurs que tu cites, on pourrait certainement ajouter Carl Schmitt, en particulier son texte « Roman Catholicism and the Political Form » (on pourrait d’ailleurs organiser une discussion autour de ce texte pour approfondir le présent débat).

Je vois bien comment on peut montrer que le procès de représentation fonctionne d’une certaine manière dans une institution autoritaire-au-sens-d’autorité (famille, patrie, école, Église) : dans la représentation, il y a une idée du Tout-autre, de la Loi, de Dieu. Il y a quelque chose qui donne, quelque chose qui coule, d’où s’écoule le sens du monde. On voit bien comment, d’ailleurs, il y a une consistance représentative qui lie ces institutions autoritaires-au-sens-d’autorité – elles semblent participer d’une même substance, se renforcer mutuellement, puiser dans un même réservoir (je crois que c’est ce réservoir que l’on appelle transcendance, et que tu associes à l’idée « d’ancrage symbolique »). Je vois bien également comment le procès de représentation fonctionne d’une manière différente dans les institutions que tu pourrais peut-être qualifier d’égalitaires-autoritaires-au-sens-d’autoritarisme (démocratie libé-rale, marché) : dans la représentation, il y va alors d’une mimésis, de ce que j’aime appeler une redondance. Cette redondance manifeste certainement une modification profonde dans l’ordre de la représentation politique. C’est la question qui occupe tout mon esprit. Il faudrait plus d’espace pour développer cette intuition de ma part, mais j’ai l’impression qu’un approfondissement de notre compréhension des conditions de possibilités de cette modification pourrait nous permettre de nommer l’agir politique d’une nouvelle façon. C’est pourquoi je suis réticente à me contenter d’opposer deux types de procès de représentation pour défendre l’un contre l’autre.

Autre question : (2) Est-ce que tu n’opères pas un glissement entre « gauche » et libéralisme, lorsque tu assimiles la gauche à la fabrication d’un individu délié? Il me semble que cet individu auto/nome, dont la liberté est mouvement et dont l’action est orientée par sa propre définition de ce qu’est l’intérêt est celui du libéralisme politique. À ce titre, il faudrait demander ce que tu entends par gauche, et comment gauche et libéralisme politique se distinguent. Est-ce que « gauche » est le mouvement incarné par les gens de ta génération qui, dans les années 1960, ont revendiqué la liberté individuelle pour se payer des soins de santé privés et rouler en voitures de luxe dans les années 1990 (l’esprit soixante-huitard) ? Si c’est ce dont il s’agit, ne vaudrait-il pas la peine de camper la critique que tu fais dans son contexte historique précis ? Elle donnerait une meilleure prise à ce que tu entends par gauche.

D.G.

Mon point de départ, que j’aurais dû mentionner à l’atelier, est Étienne de La Boétie : au bout du désir de liberté, celui-ci peut se transformer en désir de servitude. Par « gauche », j’entends sommairement (définition certainement à préciser) d’abord un certain marxisme, prompt à célébrer la vertu du capitalisme qui détruit l’institution au sens ci-haut défini (relire les pages du Manifeste, le capitalisme détruit la famille, la religion, elle fait de tout l’expression de rapports entre marchands et contractants); ensuite ce que j’appelle la « gauche culturelle » (faute de meilleur terme), qui débusque tous les rapports d’inégalité et d’autorité (confusion avec l’autoritarisme) dans toutes les institutions, à commencer par l’école, l’Université (années 1960) et qui ne réussit – à son corps défendant, les intentions n’ont pas grand-chose à voir là-dedans – qu’à réaliser l’illimitation du libéralisme (partout des échanges, des contrats, des négociations : contractualisme généralisé). C’est peut-être ce que Foucault et Deleuze ont entraperçu avec une certaine terreur à la fin de leur vie : plus de société disciplinaire mais une société de contrôle d’autant plus autoritaire qu’on ne peut en appeler à aucun principe (au sens fort : arkhè) contre elle (toute évocation d’un tel principe est archaïque, réactionnaire; le moderne, disait Péguy, est un déniaisé, il fait le malin, il est celui à qui on n’en raconte pas, qui ne fait crédit à rien qui l’antécède, qui le transcende).

G.L.

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Je me baladais dans les rues autour de l’espace clôturé, au Sommet de Québec, en 2001, et on pouvait entendre, sur des tribunes improvisées, des gens – n’importe qui, des citoyens – qui tenaient des discours politiques. Je me rappelle en particulier d’un garçon, jeune, qui s’était adressé aux autres dans un tel forum, et dont la naïveté qui était en même temps profondeur m’avait beaucoup touchée. Il a demandé, exalté, hurlant : « C’est qui qui gouverne le monde ? C’est qui ? On veut des noms pis des adresses. C’est qui qui gouverne le monde ? ». Des noms pis des adresses : quelqu’un, une transcendance incarnée, un représentant de l’arkhè contre laquelle on voudrait rêver. Une institution dont l’autorité est clairement identifiable parce qu’elle implique un hiérarque qui est l’incarnation de l’arkhè donnait un sens à la contestation. Dans la société de contrôle (démocratie libérale, marché), comme tu le soulignes bien, il n’y a pas « d’ancrage symbolique ». D’où la question du jeune homme, d’où son désarroi politique. D’où l’urgence de la tâche de renommer le monde dans lequel nous vivons, tâche qui passe par une lente analyse en profondeur de la mutation du régime représentatif. Il me semble que ce travail ne fait que commencer.

Autre question : (3) Est-ce que tu n’assimiles pas démocratie, marché, libéralisme et massification de la société ? J’ai l’impression que ces termes sont interchangeables dans ta critique. Pourtant, il y a des définitions de la démocratie qui sont offertes par la « gauche » qui ne découlent pas du libéralisme, ni de l’idée de marché. Quand tu assimiles ces choses, tu refuses de considérer une définition de la démocratie qui tenterait de résister au marché. Il me semble, si c’est le cas, que c’est un réalisme un peu opportuniste que tu pratiques (et cela nous ramène au problème de la définition de ce qu’est la gauche). D’autre part, l’assimilation de la démocratie à la massification de la société, si elle est intéressante d’un point de vue réaliste, exige une critique proprement économique de l’évolution récente des sociétés occidentales, critique qui doit dépasser l’idée de l’apparition, dans l’ordre culturel, d’une psyché particulière. S’il fallait prendre cette route, il faudrait aussi songer à la pertinence de faire une distinction entre marché et capitalisme.

D.G.

D’accord avec la distinction entre marché et capitalisme. Le problème n’est pas de détruire le marché – mais d’encadrer, de ré‑enchâsser les rapports marchands dans un tout, symboliquement orienté, qui empêche leur illimitation. Cela suppose que l’on puisse évoquer une Loi contre l’accumulation à l’infini (une Idée de justice par exemple). La démocratie peut-elle faire cela ? Les intentions comptent peu ; ce qui m’importe sont les effets qu’elles engendrent. Si la démocratie ne peut conjuguer le dêmos et le kratos avec un principe instituant au sens ci-dessus entendu, Platon a raison, elle conduit à la tyrannie (qui n’est pas son contraire, mais son prolongement).

Enfin, c’est une question bien plus complexe que cela, je ne peux pas te répondre plus longuement pour l’instant, mais je ne crois pas que l’on puisse se contenter d’opposer la démocratie au capitalisme, ils font trop bon ménage pour cela.

G.L.

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D’accord avec toi qu’une certaine idée de la démocratie va de pair – se confond, même – avec le capitalisme. C’est un peu ce que tente de montrer C. B. Macpherson, si je comprends bien l’intention de ses travaux. Je conserve pourtant une idée de la démocratie qui s’articule à une notion de commun comme expérience quotidienne de la justice et de l’impossibilité de la justice, une idée de la démocratie qui a à voir avec l’idée d’éducation. Cette idée est peut-être politiquement naïve, j’en conviens, mais nos naïvetés sont des « ancrages symboliques » d’espoir, des ancrages affectifs, souterrains, « comme un lion qui rampe ». Comme le dit Arendt dans « Qu’est-ce que l’autorité ? » : nous n’avons plus de tradition, mais nous avons un passé, nous n’avons plus de religion, mais nous avons la foi, nous n’avons plus d’autorité, mais nous avons la capacité de créer un monde viable et vivable.

Autre question : (4) Enfin, concernant la critique de l’université, je pense que l’on s’entend sur l’état actuel de la catastrophe. Ton analyse suggère (ici, je m’avance) que la gauche ayant délié les individus, le principe d’autorité qui permettait à l’université de se maintenir comme institution résistant au marché s’est effondré de lui-même, de l’intérieur. En effet, comme tu le suggères, ce sont les plus hautes instances de l’université elle-même (« Nous ») qui participent et appellent la destruction de l’université comme institution. Or, ce que je vois, à l’Université d’Ottawa, c’est l’histoire d’une institution religieuse qui s’est transformée, sans heurts et sans révolte, en institution capitaliste. Ce passage a été facilité par l’existence d’une structure autoritaire déjà en place. Il semble s’être fait en même temps que la structure du financement des universités s’est transformée, et que les exigences liées au maintien de la base matérielle de l’institution ont exigé d’orienter l’activité non plus vers la reproduction de la culture catholique, mais plutôt vers la recherche du profit. D’une certaine manière, l’université n’a jamais été en mesure, ici, d’exister pour elle-même, de se donner ses buts propres, d’être au service de la connaissance et de la culture. Elle a été, de toute son histoire, au service de fins décidées selon des logiques qui lui sont extérieures, et qui ont à voir avec les conditions de possibilité de sa reproduction matérielle. Selon une telle lecture, le problème de la destruction de l’université ne serait pas un problème de chute de l’autorité (au contraire, si l’on accepte l’idée que le marché est une institution et que cette institution comprend un principe de médiation dont l’autorité est reconnue), mais plutôt l’effet d’une hétéronomie contingente (Église, Capital). Il me semble que le manque cruel de démocratie, de capacité d’auto-détermination dont nous souffrons en tant que collectivité à l’Université est précisément ce qui empêche de résister à cette hétéronomie contingente.

D.G.

À mon avis, jamais La Boétie n’a été plus vrai que lorsqu’il est appliqué à notre situation. Prenons l’infâme café situé dans la bibliothèque, en face du comptoir du prêt ! Littéralement, il nous suffirait de ne pas obéir au commandement de consommer dont il nous arraisonne quotidiennement pour qu’il disparaisse. Un commerce dénué de clients pendant un mois (au maximum) ferme ses portes. Je boycotte personnellement ce café et le boycotterai jusqu’à la fin de mes jours (jamais, sous aucun prétexte, acheter quoi que ce soit à cet endroit). Je suis peu imité et pas suivi quand je propose le boycottage. Pourquoi? Rien à voir avec une invasion par le capital ; c’est nous qui avons invité ces commerçants : nous, soit la haute administration comme parfaite représentante des individus déliés venus à l’Université non en fonction d’une Idée qui l’antécède, la transcende et l’oriente symboliquement (la sagesse, la science, la transmission, on peut formuler l’Idée de différentes manières), mais en fonction de son identification à un espace purement contractuel (utilitariste, « échangiste »). L’étudiant qui vient négocier sa note dans ton bureau, parce qu’il estime que dans notre monde tout se négocie, que tout est affaire de contrat, c’est le même qui va acheter son café au Second Cup ensuite. Mon désir – et il ne faut jamais céder sur son désir, ainsi qu’une lectrice de Lacan comme toi le sait – est qu’il puisse exister une subjectivité étudiante qui boycotte le café et ne négocie pas sa note avec toi, parce qu’elle serait animée par une Idée de l’Université.

La République selon Péguy, c’est cela : l’égalité de tous devant un principe originaire fondateur, qui est notre affaire commune, notre chose publique (res publica). Il ne s’agit pas d’un principe immuable, donné (ni Nature, ni Dieu), mais d’un événement qui fait autorité, c’est-à-dire dont l’incomplétude (la faiblesse donc) appelle les vivants à agir pour lui conférer son sens. Agir pour une Idée, c’est le contraire de faire des contrats.

G.L.

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Agir pour une idée – l’agir comme orientation au sein d’une affectivité. Devant un ennemi commun, la traductibilité de nos positions se manifeste de manière lumineuse.

Je demeure tout de même attachée à l’idée de la possibilité que l’université d’Ottawa n’ait, en fait, jamais défendu l’idée d’Université. Je suspecte l’Église d’avoir été autoritariste plutôt qu’autoritaire, et je soupçonne que les gens, « Nous », n’ont jamais été liés à cette institution « ancrée symboliquement » par la force d’évidence de l’autorité, mais toujours par l’autoritarisme des « instances », des hiérarques. C’est pourquoi je soupçonne que dans le passage de la foi en Dieu à la foi au marché, malgré les différences anthropologiques dans les types de régime de représentation, il ne s’est pas joué une chute de l’autorité, mais seulement un déplacement dans les priorités des « instances », et un déplacement corollaire dans le régime de répression.

Il faut voir, pour illustrer ce que j’essaye de dire, la succession des portraits des recteurs, que l’on peut apercevoir derrière les vitres blindées des bureaux de l’administration centrale, au deuxième étage du Tabaret. Dans cette représentation de l’Université, on voit défiler les différents recteurs de l’Université d’Ottawa, figures successives gardiennes de l’arkhè. Du prêtre en étole derrière lequel s’élève l’architecture de pierre de l’ère de l’État, on passe, dans une parfaite continuité des formes – même médium, même traitement – au gestionnaire en veston-cravate avec, en fond, des tours à bureau couleur néon. Il faut alors se demander : quelle continuité, quelle rupture ?

Il faut, dans tous les cas, continuer à interroger la transformation du régime de représentation.

D.G.

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Le présent texte a d’abord été publié sur le site web de Monde commun. Il s’agit d’une correspondance entre Dalie Giroux et Gilles Labelle ayant eu lieu suite à la présentation par Gilles Labelle de deux textes, « Péguy et la ‘fausse république’ du Québec » et « Le républicanisme antimoderne de Charles Péguy », lors d’un atelier du Circem, le 18 septembre 2008 à l’Université d’Ottawa.

Ce débat est aussi disponible en format pdf.

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