Par Claude Rioux, Éditions de la rue Dorion, Montréal
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Ainsi donc, la députée de ma circonscription, la solidaire Manon Massé, a voté en faveur de la résolution de la ministre caquiste Martine Biron, une motion entièrement basée sur une fake news colportée par les chroniqueurs d’extrême droite de Québecor – et reprise sur Twitter/X par le troll du Devoir Jean-François Lisée. La motion, qui dit en substance que le Québec se dresserait d’un seul bloc contre la Cour suprême du Canada qui « invisibilise » les femmes, est un assemblage ostensible de rhétorique transphobe et de complotisme nationaliste.
Qui a encore confiance dans le jugement et la sincérité de Manon Massé quand, depuis des années, elle se rallie, lors de moments critiques, à des votes motivés par un esprit de corps patriotique et délétère à l’Assemblée nationale, quand ils ne flirtent pas carrément avec le racisme?
Voici une compilation incomplète de votes nationalistes caves de Manon Massé à l’Assemblée nationale :
– En octobre 2023, un rapport de la Commission des droits de la personne du Canada explique que les personnes pratiquant une autre religion que le christianisme peinent à obtenir des congés pour célébrer leurs fêtes religieuses, et donc qu’il y a là une forme de discrimination à leur encontre. Ce qui est vrai. L’Assemblée nationale tourne ce constat en délire nationaliste (le Canada dit que Noël est raciste; on va fêter Noël à l’unanimité pour conserver notre culture), Manon Massé vote pour.
– En avril 2023, en plein ramadan, elle vote en faveur d’une motion « qui rappelle que les écoles publiques ne sont pas des lieux de cultes; que la mise en place de lieux de prière, peu importe la confession, dans les locaux d’une école publique va à l’encontre de ce principe ». Il n’y a aucune invasion de prières dans les écoles, QS est officiellement contre la Loi 21, dont aucun article d’ailleurs n’empêche les croyant·es de prier dans des lieux publics ni qu’on mette un local à leur disposition dans une université. Qu’à cela ne tienne, elle vote pour. Notons que Joseph Facal tente ces jours-ci de relancer cette affaire dans un texte complotiste atroce, tout en non-dits mais dont la violence islamophobe saute aux yeux. Espérons que ni l’Assemblée nationale ni Manon Massé ne retombent dans le même piège deux fois.
– En mars 2023, ma députée vote pour une motion qui « dénonce […] tout lien fait entre le racisme et la loi 21 ». Il y a des dizaines sinon des centaines de milliers de personnes qui font chaque jour l’expérience du lien entre le racisme et la Loi 21, mais Manon Massé n’en a cure et préfère la camaraderie avec ses collègues de l’assemblée, fussent-iels des racistes fini·es.
– En février 2023, Manon Massé, qui s’était d’abord abstenue sur un premier vote, rallie finalement ses collègues à l’Assemblée nationale en demandant la démission d’Amira Elghawaby parce qu’elle avait eu le culot de dire que l’attentat terroriste antimusulman du 3 juin 2017 à London (Ontario) « devrait inciter les Canadiens à examiner de plus près la discrimination au sein de leurs propres communautés, y compris l’impact de la loi 21 », que « malheureusement, la majorité des Québécois semblent influencés non pas par la primauté du droit, mais par un sentiment antimusulman » et que d’entendre que « les Canadiens français avaient été le plus grand groupe au pays à avoir subi le colonialisme britannique » lui donnait « envie de vomir » (Mme Elghawaby faisait référence au génocide des Autochtones).
– En décembre 2022, Manon Massé se rallie à une motion de la CAQ qui « dénonce l’ingérence du gouvernement fédéral qui finance des programmes de chaires de recherche selon certains critères qui ne reflètent pas la spécificité du Québec », un appui aussi ridicule que tapageur à la cabale antiwoke et nationaliste contre les politiques d’équité, diversité et inclusion (EDI) qu’imposerait le fédéral contre les Québécois pure laine.
– En mai 2022, elle dit vouloir « protéger le français » et tourne le dos aux personnes immigrantes et aux peuples autochtones en votant honteusement pour la Loi 96 aux côtés de la CAQ, loi qui, selon l’Assemblée des Premières Nations, compromet « l’apprentissage, l’usage, la transmission et la pérennité des langues autochtones ». Manon Massé préside une « commission nationale autochtone » au sein de QS, mais cette patente est visiblement bidon.
– En septembre 2021 : Manon Massé vote avec la CAQ pour exiger des « excuses formelles » à la journaliste Shachi Kurl pour la question tout à fait correcte qu’elle avait faite au chef du BQ Yves-François Blanchet lors du débat des chefs des élections fédérales. Pour mémoire, la question : « Vous niez que le Québec a des problèmes avec le racisme, mais vous défendez des lois comme la loi 96 et 21 qui marginalisent les minorités religieuses, les anglophones et les allophones. […] Pourquoi votre parti soutient ces lois discriminatoires ? » Manon Massé aurait dû remettre une médaille à Shachi Kurl pour avoir dit tout haut ce que bon nombre d’entre nous disent tout haut aussi, mais elle a préféré demander la démission d’une journaliste racisée anglophone qui fait de la peine à Blanchet.
– En mars 2021 : Manon Massé vote avec la CAQ pour « dénoncer les attaques à la nation québécoise » d’un obscur prof ontarien, Amir Attaran, qui avait comparé le Québec à un « Alabama du Nord » dans un tweet. Je souligne : dans un fucking tweet. Un « scandale » là encore monté de toutes pièces par les chroniqueurs racistes de Québecor. Comme en témoigne le vote du 15 mars 2024 sur la supposée « invisibilisation des femmes », le Québec se distingue bel et bien comme un Alabama du Nord avec ses motions transphobes à l’Assemblée nationale.
Une fois, ça passe. Deux fois, on se pose des questions mais on se dit « elle est moins pire que les autres ». Mais là je m’excuse, il faut bien l’admettre : Manon Massé n’est ni antiraciste ni anticoloniale, ou alors seulement dans sa tête, et ce, de manière tellement molle qu’elle en renie ses convictions et le programme de son parti dès lors qu’il s’agit de bien paraître dans la presse nationaliste. Manon Massé a fait du bon, je n’en doute pas, mais elle n’a plus de boussole : on mérite plus de constance et de sérieux dans les convictions d’un·e député·e. Quand ta députée est interchangeable avec Biz, ça va mal.
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Post-scriptum
Évidemment, tout le monde sait maintenant que l’affaire « la Cour suprême ne veut plus qu’on dise le mot femme » était totalement bidon. D’où cette explication complètement faux-cul donnée par QS à La Presse : « Contacté après le vote, Québec solidaire a reconnu avoir voté en faveur d’une motion qui comportait “des erreurs factuelles”, mais affirme avoir donné son consentement à la motion “parce que nous sommes en accord avec le concept de ne pas invisibiliser les femmes”. » Donc, QS a voté pour une motion sachant que c’était une fake news, sous prétexte (!) que le dog whistle « invisibiliser les femmes » cher aux transphobes s’y trouvait…