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Vidéo de la brigade urbaine du SPVM, 26 février 2013

Par Moïse Marcoux-Chabot | Ce texte a précédemment été publié sur le site web personnel de l’auteur.

Brigade urbaine du SPVM, 26 février 2013 de Moïse Marcoux-Chabot sur Vimeo.

Opérations de la brigade urbaine du SPVM pendant la manifestation étudiante du 26 février 2013 (vidéo de 21 minutes). Montage chronologique et son d’ambiance.

Pour plus de détails, voir le billet original sur le site web personnel de l’auteur.

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Victoriaville: les balles de plastique sont identifiées

Par Moïse Marcoux-Chabot | Cet article a précédemment été publié sur Facebook, Coop média de Montréal et Le Globe.

En filmant les événements de vendredi dernier à Victoriaville, j’ai capté avec mon micro directionnel cette conversation entre deux agents anti-émeute, à l’arrière d’une ligne de policiers, pendant qu’un troisième s’approchait d’eux et qu’un quatrième, plus près, m’intimait «Bouge !». Il était 19h55, six minutes avant qu’un véhicule policier traverse dangereusement la foule.

Le premier interpelle les deux autres en pointant vers les manifestants, l’air jovial: « En plein milieu de la foule, comme [inaudible], trois, quatre ! Trois, quatre !» Le deuxième lui tend au moins une grenade, l’autre a un fusil entre les mains. L’un des deux répond en s’esclaffant derrière son masque à gaz: « Ha ha ! Trois quatre en plein milieu !» [D’après les mouvements, on peut croire qu’ils font référence à trois ou quatre objets lancés dans la foule.]

La suite est couverte par le slogan «Paix, amour, et gratuité scolaire!» à ma gauche.

On peut visionner l’extrait vidéo et s’en faire sa propre idée.

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De nombreux médias continuent de parler de «balles de caoutchouc» lancées par la Sûreté du Québec à Victoriaville le vendredi 4 mai et plusieurs personnes soutiennent que les blessures graves subies par les manifestants ont été causées par des objets tirés par d’autres manifestants.

Or, des témoignages récents (Lux Éditeur et Joé Habel sur ce blog) confirment qu’au moins une des blessures les plus graves a été causée par une balle provenant d’un policier. Et ces balles sont maintenant clairement identifiées. Voici la photo de l’une d’elles, retrouvée sur place:

Crédit photo © Moïse Marcoux-Chabot.

Il ne s’agit pas d’une balle de caoutchouc, mais d’une balle de plastique dur, aussi appelée «munition-bâton» ou «plastic baton round». Le directeur des communications de la SQ Jean Finet a confirmé l’utilisation de balles de plastique et non de caoutchouc: «Des irritants chimiques et des balles de plastique ont été utilisés dans un continuum de force.» Il s’agit, au même titre que les balles de caoutchouc ou les «bean bags», d’une arme à énergie cinétique visant à neutraliser une personne présentant un risque grave pour sa vie ou la vie des autres. Aux États-Unis, ces armes ont surtout été utilisées dans les dernières années pour neutraliser des personnes sur le point de se suicider.

Ce type de munitions est parfois désigné comme étant «à létalité réduite» ou «Less Lethal Systems», c’est-à-dire présentant un risque de mortalité plus faible, ce qui est loin de signifier «innofensive». En situation d’émeute ou de contrôle de foule, ces munitions sont plus rarement utilisées vu les risques de dégâts collatéraux. Elles sont censées être tirées sur des individus isolés et armés ou des «leaders» ciblés qui incitent les autres à commettre des actes dangereux.

Elles doivent être utilisées par des personnes spécialement entrainées à leur maniement et ne jamais être tirées à hauteur du visage. Dans le cas des balles de plastique, leur usage recommandé en entraînement est de tirer vers le sol devant les personnes visées pour que le projectile rebondisse et les atteigne aux jambes. Une étude de l’Institut National de Justice américain indiquait d’ailleurs en 2004 que lorsque ces projectiles d’impact touchent directement la tête ou le cou, les risques de lacérations, perforations ou fractures augmentent considérablement. De même, cinq des six décès recensés dans le rapport ont été causés par des tirs au haut du corps, dans la zone de la poitrine (voir Impact Munitions, Data Base of Use and Effects, p. 19).

Les diverses armes à feu projetant ce type de munitions perdent de la précision lorsqu’elles sont utilisées à des distances supérieures à 10 mètres, qui est pourtant souvent en-dessous de la distance minimum conseillée par les manufacturiers. Les blessures les plus graves sont généralement le résultat de tirs à courtes distances. Un tir rapproché est donc précis mais trop brutal, alors qu’un tir éloigné à la juste force est imprécis et risque de toucher des zones du corps plus fragiles.

Une étude du Groupe d’étude des systèmes à létalité réduite de l’Université de Liège reprend certaines des données du rapport mentionné et donne plusieurs recommandations en vue de l’adoption d’armes de ce type par les policiers belges, avec à l’appui de nombreuses études médicales d’impact corporel basées sur l’analyse de tirs sur des cadavres humains (voir Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique: état de la question et recommandations quant à une utilisation éventuelle dans les interventions de contre-violence, novembre 2009).

Les balles de Victoriaville sont distinctes de celles que le Service de Police de la Ville de Montréal a utilisées lors du Salon du Plan Nord deux semaines plus tôt:

Crédit photo ‌© David Widgington.

Ces balles étaient de type «éponge» ou «sponge bullet», d’un diamètre de 40 mm. Tel que rapporté par le McGill Daily le 2 mai dernier, elles s’apparentent au modèle américain M1006.

Les balles de plastique vertes de Victoriaville sont plutôt du type AR-1 Standard Energy, fabriquées par le manufacturier ontarien Police Ordnance Company et tirées avec un fusil ARWEN (Anti-Riot Weapon ENfield), qui peut contenir cinq projectiles de calibre 37 mm, incluant aussi bien des balles de plastique que des grenades lacrymogènes ou contenant du gaz irritant CS, et les tirer en moins de 4 secondes. D’ailleurs, il n’est pas à exclure que les balles ayant blessé gravement trois manifestants aient été tirées par erreur à la place d’une grenade lacrymogène par un policier mal entraîné ou incapable de gérer la situation.

Le ARWEN-37 Mark III, sur Police Ordnance Company.

Crédit photo © Édouard-Plante Fréchette, La Presse.

Le fusil ARWEN-37 a aussi été utilisé pour tirer des balles de plastique au G20 de Toronto en juin 2010 comme l’avait annoncé la CBC et comme l’a confirmé la police, notamment devant le centre de détention temporaire. Des poursuites sont en cours.

Un fusil semblable a aussi été utilisé lors du Sommet des Amériques à Québec en 2001, comme en témoignait l’anthropologue anarchiste américain David Graeber, qui avait lui-même reçu un balle verte de plastique à cette occasion. Éric Laferrière, un manifestant qui avait été blessé gravement au cou par une de ces balles au Sommet a vu sa poursuite contre la Ville de Québec rejetée en Cour supérieure neuf ans plus tard.

Précisons que les fusils de type ARWEN ont été conçus à l’origine pour le gouvernement britannique dans le conflit en Irlande du Nord, pour remplacer le L67A1 38mm Riot Gun qui tirait des balles de caoutchouc. Entre 1970 et 1975, plus de 55 000 balles de caoutchouc y avaient été tirées, causant la mort de 17 personnes, dont 8 mineurs. Les balles de caoutchouc ont aussi fait plusieurs victimes dans le conflit israélo-palestinien et posent de réels dangers pour la vie. Il n’est donc pas surprenant que David Cameron ait attendu au quatrième jour des graves émeutes de Londres du mois d’août 2011 avant d’autoriser l’usage de balles de caoutchouc ou de plastique sur les émeutiers.

D’ailleurs, le fusil ARWEN n’a finalement pas été adopté dans les années 1970 par le gouvernement britannique, jugé trop intimidant. Il n’a été manufacturé qu’à partir de 1983 et a été acheté d’abord par la police du Kentucky, aux États-Unis. Il est maintenant produit exclusivement par la compagnie ontarienne Police Ordnance depuis 2001. Brian Kirkey, PDG de Police Ordnance, a d’ailleurs déjà souligné le danger posé par le fusil ARWEN: «It’ll break bones if it hits. You don’t want to hit them in the head. You don’t want to hit them in the neck. That’s where you have a potential fatality.»

Mais revenons une fois de plus aux balles précises utilisées à Victoriaville:

Crédit © Moïse Marcoux-Chabot. Image tirée de la vidéo «Manifestation contre le congrès du PLQ à Victoriaville, 4 mai 2012», à 19:58.

Je soulignais plus haut qu’il s’agit du projectile AR-1 Standard Energy, comme on peut le constater en comparant l’image avec les différentes munitions proposées par Police Ordnance. Cette balle a les caractéristiques suivantes:

  • Poids de 145 grammes dans sa cartouche, 85 grammes seule
  • Longueur de 110 mm, diamètre de 37 mm
  • Faite de plastique composite moulé par injection
  • Portée de 100 m
  • Vitesse de 74 mètres/seconde à la sortie (266 km/h)
  • Énergie kinétique de 219 J à la sortie

Par comparaison, la masse d’une balle de baseball est d’environ 145 grammes et le record de lancer rapide par un joueur professionnel est de 47 mètres/seconde.

À côté du modèle AR-1 standard, Police Ordnance propose aussi deux types de balles un peu moins rapides, soit le Medium Energy (60 m/s) et le Reduced Energy (50 m/s) ainsi qu’un modèle plus récent, le AR-1-AIR, qui tire aussi à 74 m/s mais est manufacturé avec une tête coussinée réduisant la force de l’impact: «This Baton reduces the risk of deep trauma by cushioning the kinetic energy on impact.»

Qu’est-ce qui justifiait l’usage du projectile le plus dangereux des quatre disponibles ? Est-ce seulement parce que ces balles coûtent environ 30$ la pièce, sont vendues en caisses de 96 unités et qu’il fallait «vider les stocks»  ? Y a-t-il un lien avec les achats massifs de fusils ARWEN-37 effectués en 2010 à l’approche des Jeux Olympiques de Vancouver et du G20 de Toronto ? L’usage de balles de plastique de cette force était-il nécessaire et a-t-il été effectué par des policiers bien entraînés ?

Les agents de la Sûreté du Québec ont-ils commis des erreurs à répétition en tirant à plusieurs reprises des balles de plastique dans une foule en partie agressive, en partie calme, à hauteur de tête ? Était-ce le résultat d’erreurs de communication, de mauvais jugement individuel, d’ordres précipités ou d’une volonté réelle de blesser ? Les manifestants visés représentaient-ils une menace immédiate assez élevée pour courir le risque, comme c’est arrivé, de blesser d’autres manifestants ? Les trois cas de blessures à la tête seront-ils suffisants pour que la Sûreté du Québec admette qu’il y a eu faute et qu’elle doit revoir ses pratiques, avant de sombrer davantage dans la militarisation de l’intervention policière ?

C’est à réfléchir. Mais pour y réfléchir collectivement de façon constructive, il faut non seulement une enquête indépendante, mais il serait aussi nécessaire que les journalistes utilisent les bons termes, prennent quelques heures pour fouiller ces références, interrogent les policiers en service ce soir-là, comparent les blessures traitées par les médecins avec des cas précédents de blessures semblables, etc. Bref, qu’ils fassent leur travail au lieu de créer du scandale. S’ils ont été capables de trouver la boule de billard #9 au congrès du PLQ, ils devraient savoir utiliser Google et poser des questions pertinentes aux bonnes personnes.

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Note de l’auteur:

Je ne peux pas certifier moi-même que ce sont les balles de plastique qui ont touché les personnes blessées, n’ayant pas été témoin oculaire. Je peux certifier que les balles vertes ont été trouvées sur place et il y a plusieurs témoignages (voir 5e paragraphe et commentaires) qui concordent pour dire que c’était une balle qui a frappé au moins deux des manifestants gravement blessés. Notons que sur le moment, le terme «balle de caoutchouc» a été immédiatement utilisé par tout le monde, en l’absence d’une compréhension plus précise de ce que c’était.

La CLASSE est à la recherche d’une des balles de plastique en question (tirée à Victoriaville). Si vous en avez une en votre possession, vous pouvez les contacter ou m’envoyer un message et je vous mettrai en contact.

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