Post Performance / Conversation Action + Nos terres louables – OFF.T.A. 2016

Galerie de l’UQAM, dimanche 5 juin 2016

Par Karim Chagnon, en collaboration avec Trahir

Note de la rédaction : Ce texte est d’abord paru dans les Cahiers Philo de l’OFF.T.A.

Territoire de peuples et de peuplement,

de la violence extractiviste surgit le silence, le tambour

écoute les paroles

de la grande Alanis Obomsawin

Salle 1 : Le chantier, phase 1

Un vacarme incessant retentit dans la salle : l’Association des ouvriers et ouvrières sensibles est à l’œuvre. Sur une table qui peine à supporter les coups de marteau rythmés, les ouvriers et ouvrières, munis de casques de construction, pulvérisent leurs matériaux. Les unes après les autres, des craies de différentes couleurs sont broyées. De l’autre côté de la salle, des ouvrières s’affairent à ouvrir et à placer en rangée bien ordonnée de petits sacs en plastique par terre. Au fond, on aperçoit de grosses bouteilles remplies d’un liquide quelconque. Les ouvriers et ouvrières piochent fort, le foreman est occupé à surveiller les travailleurs tout en parlant business au téléphone. Une miniature des chantiers de Fort McMurry ou de la baie James…

Salle 2 : Conversation avec une héroïne

Appelés à se déplacer dans une deuxième salle, plus vaste, on s’installe en demi-cercle autour d’un décor épuré. Avec, en fond de scène, deux fauteuils, deux jeunes femmes autochtones exécutent un chant d’honneur accompagné d’un tambour. Leurs voix, par moment a cappella, contrastent avec le fracas du chantier.

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Crédit photo © Maxim Paré Fortin

L’artiste anishnaabe Maria Hupfield nous accueille. La performance, nous explique-t-elle, avait déjà été présentée à Toronto, sous le titre monomyths. Puisqu’il s’agit du mythe du héros, quelle invitée plus digne de reconnaissance que la cinéaste Alanis Obomsawin? Alors qu’elle donne une introduction à Alanis Obomsawin et à son œuvre, Hupfield compte, à l’aide de ruban adhésif rose, le nombre de documentaires qu’Obomsawin a réalisés au cours de sa carrière. Une quarantaine, au total. Il en résulte une grosse boule de ruban rose qu’elle dépose sur la table. Une œuvre qui se matérialise devant nous et qui est le sujet de la conversation.

Du haut de ses 83 ans, Obomsawin, la réputée cinéaste abénakise, qui a d’ailleurs réalisé le fameux documentaire Kanehsatake : 270 ans de résistance, blague qu’elle est en fait rendu à son cinquantième film. Depuis qu’elle est toute jeune, la façon qu’avaient les aînés de raconter leurs histoires de la forêt l’inspirait. Les mots ont toujours gardé une plus grande importance que les images, d’ailleurs, elle s’assure, dans ses documentaires, d’enregistrer les premières paroles de ses interlocuteurs.

Parlant d’histoires et de paroles, Obomsawin offre ses réflexions à propos de la Commission vérité et réconciliation. Celle qui a consacré sa vie à écouter les gens y remarque le courage nécessaire pour raconter des expériences douloureuses, des histoires qui, souvent, étaient restées dissimulées. Pour comprendre ce que signifie la « réconciliation », il faut d’abord, selon elle, accorder une reconnaissance aux personnes et à leurs histoires de survivance, à la difficulté de s’exposer publiquement. La réconciliation, c’est son art, c’est cette performance même. La réconciliation, selon Obomsawin, a toujours fait partie de la vie. La réconciliation se fait dans nos rapports avec toutes nos relations (all our relations), c’est-à-dire, avec les gens, la nature, le soleil, en somme, avec tout ce qui vit. Pour survivre, il faut creuser et trouver une source de continuité. Nous avons tous le cadeau de la vie, il suffit de le reconnaître dans l’autre.

Salle 1 : Le chantier, phase 2

Une fois la conversation terminée, le public retourne une fois de plus au chantier. On y constate que la craie, au départ de différentes couleurs chatoyantes, est maintenant amalgamée en une poudre de couleur brunâtre. Les ouvriers et ouvrières s’affairent à placer la substance dans les sacs de plastique étalés au sol. Une fois ceux-ci remplis, les ouvriers les déplacent plus loin, tout en ordre, et versent du vinaigre dans les sacs qu’ils referment. Les sacs bouillonnent, se gonflent. Ça pue. Des spectateurs murmurent : « Est-ce que tout ça va péter à un moment donné? »

Salle 2 : Projection

L’écran projette un collage d’images et de vidéos. La voix d’Alain Denault à la narration raconte l’histoire du pays qui n’en est pas un, le Québec, et du continent où se côtoient peuples et colonies de peuplement. La question à laquelle le film tente de répondre n’est pas simple : pourquoi est-ce impossible de reconnaître l’ethnocide qui a eu lieu depuis l’arrivée des colons et qui a toujours lieu aujourd’hui? On voit Joséphine Bacon réciter un de ses poèmes en langue innue où elle décrit le territoire tandis qu’apparaît la traduction en langue française. Apparaît ensuite un agriculteur qui, lui aussi, parle du territoire, mais d’une autre façon et, surtout, mentionne le rôle du (manque de) capital.

Le colon québécois, bien représenté dans le personnage d’Elvis Gratton à l’écran, n’arrive pas à s’identifier : « Moi, chu un Canadien québécois, un Français canadien-français, un Américain du Nord français ». Comme la narration nous l’explique, le colon n’est pas souverain, c’est une ressource humaine dans une société où tout est ressources. N’en déplaise aux penseurs de la Révolution tranquille, les Canadiens français n’ont pas été les colonisés autant que les prolétaires des colons. Le colon ne conçoit pas le projet colonial, mais le subit de plein fouet, d’ailleurs, il en est l’instrument. Le colon, c’est l’Albertain qui trime dur sans jamais toucher les grands profits qu’engrangent les entreprises, ou encore, le Québécois qui ne voit pas la couleur de la fortune d’Hydro-Québec. Finalement, notre grand problème, ce n’est pas tant notre mauvaise conscience, mais plutôt, notre mauvaise conscience de classe.

Salle 2 : L’activiste

Une militante épingle, une après l’autre, des banderoles blanches de tissu sur le mur. Pendant ce temps, on entend une voix décrire les réalités de l’extraction minière. Une liste d’épicerie de plaintes contre l’entreprise Malartic, un enchaînement de noms de substances toxiques qui se dégagent de l’extraction, des problèmes de santé liés à l’extraction. À chaque banderole que la résistance déploie et enlève, c’est une partie de son corps qu’elle met en lumière. Elle enlève ses pantalons, les secoue d’un nuage de poussière. Elle découpe ensuite son chandail au son d’une bulle qui crève et expose son ventre. L’activiste boit de l’eau embouteillée au travers son foulard sur sa bouche. Elle recrache de l’eau souillée, noire, dans la même bouteille. La bande audio nous raconte qu’il n’en coûte que deux dollars pour acheter une acre en vue de faire de l’extraction minière. On entend Philippe Couillard vanter les vertus du développement économique « en partenariat avec les Premières Nations ». Est-ce son corps ou est-ce la Terre que l’on voit devant nous? Est-ce la même chose?

Salle 2 : L’achar-nation

Un deuxième militant récite des extraits de Pierre Perrault et nomme des villes, des villages, des communautés autochtones. « Nous ne sommes pas ailleurs qu’ici ». Ça fait longtemps qu’on s’acharne ici, on n’a nulle part d’autre où aller. Mais la question revient sans cesse : pour qui on s’acharne au juste? Pourquoi?

Salle 1 : Le chantier, phase 3

L’inévitable est arrivé. Tout saute, tout pète. Les petits sacs explosent. Un gâchis; il y a du liquide brunâtre partout, par terre, sur les murs. Pas grave, on nettoie ça. Bien vite.

Conclusion

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Crédit photo © Maxim Paré Fortin

Dans ce mélange de performances hybrides, je me demande où est le début, le milieu, la fin. Ces terres, qu’on détruit à tout instant, elles sont louées au grand capital, mais plus que ça, elles sont, au départ, des terres volées. À travers le bruit des marteaux sur le chantier, ce sont nos corps et notre Terre qu’on meurtrit. En réponse à la question de l’identité du colon prolétaire qui se cherche toujours, j’en comprends que la solution ne se trouve certainement pas dans notre instrumentalisation comme force de travail pour l’extraction minière ou encore dans la colonisation continue. Enfin, la sagesse de l’aînée Alanis Obomsawin nous offre une lueur d’espoir. Elle nous dit : « Écoute la vie, notre vie, qui survit ».

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