Par René Lemieux, Montréal
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Descriptif complet
La traduction des sciences humaines et sociales est généralement pensée comme un intermédiaire entre la traduction technique (médicale, juridique ou commerciale : à savoir une traduction qui comporterait un lexique figé et une terminologie assez consensuelle) et la traduction littéraire qui, elle, s’intéresserait davantage au style ou à la forme. Au niveau des associations ou des organisations de traducteurs, toutefois, la traduction des sciences humaines et sociales est associée à la traduction littéraire, même si on juge qu’il y a une différence de nature entre ces deux types de traduction : alors qu’on demanderait d’abord au traducteur littéraire une maîtrise de la langue cible, le traducteur de textes des disciplines de sciences humaines et sociales devrait quant à lui posséder des connaissances dans ces mêmes disciplines, participant de ce fait au marché symbolique de ces sciences.
Cette spécificité de la traduction des sciences humaines et sociales est encore mal définie, et une des causes est peut-être le problème de la professionnalisation dans ce secteur : que voudrait dire être un professionnel de la traduction en sciences humaines et sociales, sinon être un professionnel de ces sciences-là? La sociologue Gisèle Sapiro, notamment, dans une conférence donnée à l’École Normale Supérieure, propose même de faire de la traduction une obligation dans le cursus élémentaire des disciplines des sciences humaines et sociales. Aux États-Unis, c’est la voie inverse qui a été prise puisque la traduction des sciences humaines et sociales est définitivement associée à un travail de la langue, en dehors des connaissances des disciplines, ce qui a pour résultat qu’il est possible de voir sans problème un même traducteur passer de la traduction d’un roman à un essai politique ou vice versa.
Le chantier de recherche Traduire les humanités voudrait poser la question de la spécificité de la traduction des sciences humaines et sociales en abordant différents aspects de cette pratique, et ce, à partir d’une réflexion de base à la fois sur la sémiotique (qu’est-ce qu’un « concept » et comment se manifeste-t-il à la fois dans le texte source et le texte cible?) et la politique (quelle est la légitimité du traducteur quant au savoir qu’il possède?). D’abord, le chantier s’articulera autour d’un groupe de lecture dirigé par René Lemieux, à partir d’aspects liés à cette question : 1) une sociologie de la traduction (état des lieux de la recherche); 2) une philosophie de la traduction (une réflexion collective sur la question du concept ou de l’idée); 3) une histoire de la traduction (avec la lecture et la discussion de textes en histoire des idées). Le groupe de lecture se réunira environ une fois par mois et un texte sera fourni pour la discussion.
Ensuite, le chantier regroupera des chercheurs du milieu de la traductologie, mais aussi de différentes disciplines, sous la forme d’ateliers sur différents sujets liés à la traduction des sciences humaines et sociales (histoire, méthode, pédagogie, problèmes spécifiques liés à la traduction, etc.). Les ateliers auront lieu à trois reprises au cours de l’année (novembre 2013, février et mai 2014) et seront ouverts au public.
Finalement, conjointement avec les étudiants du cours « Traduction avancée en sciences humaines et sociales » (donné à l’Université Concordia à l’hiver 2014), le chantier servira de base à un projet de traduction de plusieurs articles du Handbook of Translation Studies, disponibles en ligne. Ce projet s’appuiera sur les hypothèses de travail que le groupe de lecture et les ateliers auront formulées. Les participants au projet de traduction auront la tâche de travailler conjointement avec les étudiants de Concordia, par exemple avec le travail bibliographique, la recherche des références, etc., alors que les étudiants en traduction (Concordia) auront à travailler l’aspect linguistique de la traduction. Ce travail collaboratif, qui se veut une expérimentation réflexive sur ce que penser et traduire veulent dire.
Calendrier des rencontres
- Séance inaugurale (résumé), le 7 octobre 2013
- Premier atelier de chercheurs, le 30 octobre 2013
- Pier-Pascale Boulanger (Concordia) : « Traduire Henri Meschonnic » (texte de la présentation)
- Yves Gambier (Turku) : « Concepts nomades et dynamique d’une polydiscipline : la traductologie »
- Sherry Simon (Concordia) : « Traduire Michel Foucault »
- Deuxième atelier de chercheurs, le 30 janvier 2014
- Paul F. Bandia (Concordia) : « La traduction aux fondements de la recherche en sciences humaines et sociales »
- Annie Brisset (Ottawa) : « Traduire les humanités : l’apport de la sociologie des communications »
- René Lemieux (UQAM) : « Traduire le ‘lieu vide du savoir’ » (texte de la présentation)
- Troisième atelier de chercheurs, le 10 avril 2014
- Chantal Gagnon (UdeM) : « Traduire les allocutions politiques : quels traducteurs pour quels discours? »
- Patricia Godbout (Sherbrooke) : « La traduction d’essais littéraires de l’anglais au français : quelques considérations pratiques »
- Judith Woodsworth (Concordia) : « Traduire les sciences humaines et sociales : légitimité des traducteurs, légitimité de la pédagogie »
Traduction des textes du Handbook of Translation Studies
Textes traduits pendant l’année universitaire 2013-2014, tous disponibles en ligne, par les étudiant-e-s du cours « Traduction avancée en sciences humaines et sociales » (Concordia) et par un groupe de jeunes chercheurs à l’UQAM[1] :
- « Créativité en traduction », de Carol O’Sullivan
- « Déconstruction », de Dilek Dizdar
- « Domestication et étrangéisation », d’Outi Paloposki
- « Éthique et traduction », de Ben van Wyke
- « Genre et traduction », de Luise von Flotow
- « Hybridité et traduction », de Sherry Simon
- « Postmodernisme », de Ning Wang
- « Religion et traduction », de Jacobus Naudé
- « Rhétorique et traduction », d’Ubaldo Stecconi
- « Traduction théâtrale », de Sirkku Aaltonen
Note
[1] Ont participé à ce projet, à titre de traducteur/-trice ou de relecteur/-trice : Christine Althey, Émilie Archambault, Jade Bourdages, Marie Charbonneau, Alex Gauthier, Farida Kaboré, Simon Labrecque, René Lemieux, Simon Levesque, Caroline Mangerel, Maxime Plante, Mathieu Rolland et Simon Saint-Onge.
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Ce billet a d’abord été publié sur le site du Laboratoire de résistance sémiotique.